La question du rapport de l’intellectuel au politique est ancienne : il suffit de songer à la figure de l’intellectuel organique repérée par Antonio Gramsci. Mais elle a été profondément renouvelée ces dernières années, dans la mesure où les formes et fonctions partisanes ont elles-mêmes évolué.

L’expert de programme contre l’intellectuel de projet

Qu’est-ce qu’un intellectuel ? Un universitaire, scientifique, haut fonctionnaire, journaliste, écrivain, artiste… qui intervient dans le débat public sur des sujets qui ne relèvent pas nécessairement de sa spécialité mais dont le travail accompli et reconnu dans celle-ci éclaire de manière originale certains aspects de ce débat. L’intellectuel dispose au sein de l’espace public d’un pouvoir d’influence et d’une fonction de généralisation, exercés le plus souvent par l’intermédiaire de l’écrit, qui lui donnent son caractère propre, irréductible à tout autre. On a ainsi pu construire socialement la figure de l’intellectuel engagé, formant une chaîne historique dont Emile Zola et Jean-Paul Sartre se trouvent chacun à un bout. Les années 1980 semblent marquer la fin de cette figure sous sa forme traditionnelle ; tout en perpétuant ses images et ses mythologies, elles voient une reconfiguration profonde des liens entre expertise, critique sociale et élaboration politique.

On partira d’un événement passé quasiment inaperçu des observateurs extérieurs, et aujourd’hui totalement oublié, qui s’est déroulé au tout début des années 1990, et dont l’influence sur la relation entre intellectuels et politique, au sein de la gauche socialiste et sociale-démocrate française, a été considérable : le Congrès socialiste dit de l’Arche de la Défense qui a eu lieu en décembre 1991.

Au début des années 1990, le premier réflexe des ordonnateurs d