Comment s’est déroulée ta scolarité avant le Bac ?

« J’ai suivi toute ma scolarité en intégration en milieu ordinaire. Ça oblige à une grande persévérance. Je pourrais me définir comme une « erreur du système » car les choses se sont bien déroulées pour moi, malgré ma situation de handicap. J’ai eu beaucoup de chance avec ma famille, les personnes qui m’ont entouré et qui m’ont permis de bien vivre ma scolarité. »

Pourquoi avoir choisi d’étudier à l’INSA de Lyon après ton bac ?

« J’ai choisi l’INSA de Lyon parce qu’il y avait, dans le dossier d’inscription, un flyer qui présentait l’accompagnement proposé par la mission handicap. Mais finalement, je me suis rendu compte en arrivant qu’ils avaient seulement l’expérience de l’accueil d’un étudiant malentendant l’année précédant mon arrivée et qu’ils n’étaient pas du tout préparés à accueillir un étudiant sourd ! C’est en effet très différent ! Pour donner un exemple, certains étudiants malentendants peuvent prendre des notes sans lire sur les lèvres grâce à leurs restes auditifs alors que les étudiants sourds ne peuvent pas lire sur les lèvres et prendre des notes en même temps. »

Mais finalement, tu es resté à l’INSA. Comment se sont déroulées tes années d’études?

« La première année a été une année à la fois difficile et très importante. Difficile car je n’avais pas les moyens de compensation de mon handicap nécessaires pour me permettre de bien suivre les cours. Ça a forcément eu un impact sur mes résultats. Importante car, tout au long de l’année, j’ai sensibilisé les enseignants, l’administration, les autres étudiants à ma situation de handicap auditif. Il fallait faire comprendre aux gens que « je ne fais pas le sourd, je suis réellement sourd » et ce n’était pas toujours facile pour eux de réellement se rendre compte et d’accepter cela.

J’appelle cette année, l’année 0, car c’était une étape à franchir pour me permettre de suivre ma formation dans de bonnes conditions. Suite à cette année difficile, pour moi et pour eux, l’INSA a fait le pari d’un vrai accompagnement. Une enseignante a été nommée tutrice et s’est chargée de l’aménagement de ma scolarité. Ce furent les germes de la création de la mission handicap. »

Quelles adaptations t'ont permis de suivre ta formation dans de bonnes conditions ?

« À l’INSA j’avais des codeurs LPC. Au début certains enseignants voyaient d’un mauvais œil la présence de ces personnes dans leur salle de cours. J’avais aussi des preneurs de notes car il m’était impossible de suivre ce qui était dit par l’enseignant (en regardant le codeur), de regarder des schémas ou images au tableau et en même temps de prendre des notes... Au début, mes preneurs de notes étaient bénévoles. C’était très délicat pour moi car j’avais l’impression de « mendier » et de ne pas pouvoir avoir d’exigence, en terme de lisibilité de l’écriture par exemple. Par la suite, les preneurs de notes étudiants étaient rémunérés, ce qui était beaucoup plus confortable pour moi. L’idéal c’était quand ces preneurs de notes suivaient les mêmes cours que moi, pour pouvoir me les transmettre plus facilement.

Un des enseignants est devenu mon tuteur. Ça m’a facilité les choses car en tant que confrère, il pouvait plus facilement sensibiliser les autres professeurs. Il avait plus de crédibilité et de poids qu’un élève. Par exemple, j’avais demandé aux enseignants de pouvoir venir leur poser des questions dans leur bureau pour préciser certains éléments que je n’aurais pas compris dans le cours. Au début, ils ont refusé de peur que tous les élèves se mettent à faire comme moi. Ils avaient l’impression d’un privilège mais finalement, ils ont compris que ma demande n’était pas de l’ordre du « confort » mais du « besoin ».

Et aujourd’hui dans le monde du travail, de quelles adaptations as-tu besoin ?

« Lors de mon entretien d’embauche, j’ai proposé des solutions aux situations de handicap auxquelles je pourrais être confronté, c’est-à-dire essentiellement lors des réunions et des contacts téléphoniques. J’ai alors expliqué le principe des plateformes de communication. Nous sommes actuellement en phase de test et j’espère pouvoir prochainement bénéficier de cette aide. Dans la suite logique de mes propositions, un cabinet d’ergonomie est venu faire une étude pour l’aménagement de mon poste. Ayant une fatigue visuelle plus importante, du fait que je lis sur les lèvres à longueur de journée et travaille sur l’ordinateur, je bénéficie d’un éclairage d’appoint adapté (beaucoup mieux que les néons au plafond !) et je porte désormais des lunettes de repos. »

Au cours de tes études à l’INSA, tu as créé une association. Que proposiez-vous ?

« Avec d’autres étudiants, nous avons en effet créé l’association Handizgoud pour sensibiliser au handicap. Nous organisions, par exemple, du handisport ; pendant toute une semaine, les cours de sport des étudiants étaient remplacés par du handisport. Nous avions aussi un match gala entre nos profs de sport et des sportifs handicapés. Ça a été un super moyen d’impliquer l’administration dans notre démarche et c’était génial de voir les étudiants regarder leurs profs préférés se faire battre au Torball par exemple !! La mise en situation, c’est ce qui fonctionne le mieux pour faire changer le regard des gens sur le handicap. On faisait aussi des dîners dans le noir, des cours de LSF pour l’administration ou pour les étudiants. Pour toucher l’administration, on passait par notre chargé de mission handicap qui était très investi et apportait de la crédibilité à nos projets. »

Quels conseils donnerais-tu à un jeune en situation de handicap qui se trouve au début de son parcours de formation supérieure ou en démarche d’insertion professionnelle ?

« Selon moi, il faut réussir à impliquer les autres étudiants ou salariés dans ta situation de handicap. En se sentant concernés, ils t’aideront spontanément si besoin. Surtout, il ne faut pas rester isolé !

Contacter un étudiant ou salarié handicapé ayant vécu le même parcours peut aussi aider. Par exemple, un étudiant sourd qui a intégré l’INSA après moi m’avait contacté alors qu’il était encore au lycée. J’ai pu le rassurer en lui expliquant les différents accompagnements dont j’ai bénéficié.

Il ne faut pas en vouloir aux gens de méconnaître le handicap, il faut au contraire être indulgent et apprendre à bien expliquer son handicap.

Un autre conseil très important: il faut arriver avec des propositions de solutions pour rassurer votre interlocuteur et lui permettre d’imaginer facilement votre intégration dans l’école ou dans l’entreprise. Par exemple, lorsque je suis arrivé en entretien de recrutement à EDF, j’ai tout de suite précisé quelles adaptations seraient nécessaires pour que je travaille dans de bonnes conditions. Le cadre était ainsi mis en place. »