Quel est le bilan fait par la CFDT de l’accord de Copenhague ?

A chaud, le premier sentiment est celui d’un échec, vécu comme tel par nos équipes. Selon le communiqué ONU du 31 mars sur l’accord dit de Copenhague, un total de 75 pays, représentant plus de 80 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES), ont pris des engagements de réduire la croissance de celles-ci à l’horizon 2020.

Par ailleurs, 111 pays ainsi que l’Union européenne, ont indiqué qu’ils « soutenaient l’accord », précise le secrétariat de la Convention de l’ONU sur les changements climatiques. Dans leur ensemble, ces engagements étaient connus, en particulier ceux pris par les plus grands pollueurs de la planète. L’ONU publie pour la première fois un document officiel les récapitulant bien qu’il n’ait pas de valeur juridique au plan international.

Selon le texte final, « pas plus de deux degrés » constitue l’objectif à atteindre au cours de ce siècle, montrant ainsi que la thèse du réchauffement climatique est admise par la grande majorité des pays. Bien que les références ne soient pas équivalentes selon le Protocole de Kyoto ou selon la convention Climat de l’ONU, les réalisations au 31 janvier 2010 sur les objectifs chiffrés de réduction pour l’émission de GES sont insuffisantes.

Pour la CFDT, on est donc loin du compte : il fallait des engagements chiffrés sur la base de la démarche européenne. Rester sur une trajectoire « deux degrés de plus », signifie diminuer à l’horizon 2050 les émissions de GES par quatre pour les pays développés et par deux pour les pays en développement. Aujourd’hui, d’après Jean Jouzel, on est déjà sur la trajectoire « trois degrés de plus ». Dans le contexte actuel de crise économique, l’autre préoccupation porte sur le financement, en particulier pour les pays en développement.

Par contre, l’engagement à combattre la déforestation contre les dérèglements climatiques, mais aussi contre les pertes de biodiversité est positif. Là encore, malgré le soutien des pays riches, on a beaucoup de mal à trouver des financements.

L’échec de Copenhague a laissé l’Europe sans voix. Profitant de l’impasse mondiale, les climato sceptiques relancent les thèses non démontrées d’un dérèglement climatique provenant de l’activité solaire plutôt que de l’activité humaine. La crise économique relègue la question du climat à des horizons plus lointains. L’urgence pour l’action est donc moins forte dans l’esprit des gens. Ainsi, l’échec de la contribution carbone satisfait de nombreux lobbies sans inquiéter outre mesure la majorité des citoyens.

La seizième Conférence des Nations-Unies sur le climat se tient début décembre à Mexico. Quels sont les principaux objectifs du carnet de route européen ?

Mexico ne peut reproduire Copenhague. Bonn, conférence intermédiaire, doit définir une méthodologie rigoureuse pour sortir de Mexico avec des accords contraignants et une Organisation mondiale de l’environnement dotée de pouvoirs de sanction en cas de dépassement des objectifs. Une OMC de l’environnement, en quelque sorte.

Adoptés fin juin, les 438 articles du texte de loi « Grenelle 2 » doivent permettre la mise en oeuvre des grandes orientations prévues par le « Grenelle 1 » de l’Environnement. Les propositions de la CFDT sont-elles reprises ?

Sous la pression de certains lobbies, le gouvernement a renoncé à des éléments clés du Grenelle de l’Environnement. Cela se traduit par un quasi-abandon de la taxe carbone, l’ajournement de la taxe kilométrique sur les poids lourds, le report du plan de réduction des pesticides, l’inadaptation des procédures pour le développement de l’éolien, des insuffisances sur la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, etc.

Malgré tout, la CFDT suivra de près la mise en œuvre du texte de loi, en particulier la déclinaison des mesures à l’échelle territoriale : le diable pourrait se nicher dans les 190 décrets d’application à venir !

Pour adopter une fiscalité écologique qui soit socialement équitable et dynamiser nos politiques industrielles sur la base d’un grand emprunt, il reste beaucoup à faire, notamment dans les secteurs de l’énergie, des transports et de l’agriculture, en se coordonnant au mieux avec nos partenaires européens.

Compte-tenu de la volte-face du gouvernement français sur la taxe carbone, quelles sont les pistes pour favoriser une économie moins carbonée ?

On doit agir au niveau européen maintenant et envisager sérieusement une taxe d’ajustement aux frontières en l’absence d’accord international.

En attendant, avec d’autres pays européens, la France doit mettre en place la mise aux enchères des permis d’émissions et une taxe de lutte contre les émissions diffuses en veillant à ne pas aggraver la précarité énergétique et pénaliser encore plus ceux qui ont des horaires atypiques ou qui ont été contraints par le prix du foncier de s’éloigner du lieu de travail. La redistribution des sommes collectées auprès des ménages doit être juste et ne pas favoriser les couches aisées urbaines, pour certaines bénéficiaires du bouclier fiscal !

Parmi les mesures du « Grenelle 2 », 800 millions d’euros vont être consacrés d’ici 2012, au développement de nouvelles lignes de transports collectifs en site propre. Cet engagement est-il à la mesure des enjeux dans nos grandes agglomérations ? Selon l’ADEME, 2,3 millions d’actifs utilisant leur véhicule pour se rendre au travail supportent une dépense annuelle de plus de 6 000 € : est-il possible de diminuer la facture ?

Sans sous-estimer les erreurs du passé (urbanisme non maîtrisé et donc étalement urbain inadapté à la lutte contre le réchauffement climatique), le plan est insuffisant. Non régulé, le prix du foncier est en grande partie responsable de la situation, ainsi que le discours permanent en faveur d’une France des propriétaires. Or, contrairement à nos voisins européens, les Français ont une forte préférence pour l’habitat individuel. Malgré tout, il faut densifier notre habitat, en évitant bien sûr l’urbanisme des années 60. Par ailleurs, pour ceux contraints par leur domiciliation, il faut ouvrir de réelles négociations dans les entreprises sur les plans de déplacement en favorisant le covoiturage, par exemple, via les SMS et les chèques transports.

En 2009, le secrétaire d’Etat aux Transports présente un plan d’investissements publics d’ici à 2020 pour réduire les émissions de CO2 de plus de 2 millions de tonnes en portant à 25 % la part des transports de marchandise alternatifs à la route. En 2010, le plan Fret de la SNCF projette un recul de 60 % de l’activité « wagons isolés ». Qu’en pensez-vous ?

Le plan Fret, devenu aujourd’hui celui de la SNCF, est ambitieux mais l’abandon du ramassage des wagons isolés est contradictoire avec les Grenelles. Il faut rétablir, à la fois le ramassage de ces wagons et réhabiliter les lignes secondaires laissées à l’abandon. Ce n’est que dans ces conditions que l’on luttera efficacement contre les émissions de GES. Après débat public sur les tracés, les lignes à grande vitesse sont une bonne chose, mais ne seront jamais une réponse complète pour les marchandises.

Pour réduire le transport routier de marchandises, rapprochons les lieux de distribution des lieux de consommation. Le concept d’hypermarché est dépassé : réhabilitons le commerce de proximité et développons des plate-formes ferroviaires en centre ville. Monoprix commence à changer son mode de distribution, mais les autres grandes enseignes évitent de payer des lieux de stockage au plus proche des consommateurs. Arqueboutées sur des logiques de flux tendus et de report des coûts, elles utilisent leurs platesformes logistiques pour constituer des stocks roulant sur camions, au prix d’un engorgement du réseau autoroutier européen et d’un gaspillage d’énergie fossile rejetant 300 000 tonnes supplémentaires de CO2.

Les changements productifs introduits par les technologies de l’information sous couvert de développement durable vous semblent-ils compatibles avec les politiques de l’emploi et la conception du travail que vous défendez ?

Le télétravail, encouragé au niveau européen, est trop faible en France. Il doit se développer pour prendre toute sa part dans la lutte contre le réchauffement climatique. Cependant, pour ne pas faire éclater les collectifs de travail, nécessaires à l’individu et à l’efficacité économique, ce télétravail doit être négocié. Nombre de rencontres peuvent passer par des visioconférences mais avant ou après des contacts humains, qui seuls permettent de resituer l’échange virtuel dans un dessein collectif. Nous serons attentifs à ne pas construire une société désincarnée.

Dans un rapport de 2004 sur la délocalisation des industries de main d’œuvre, la CFDT avait appelé à la définition de labels respectant les normes sociales et environnementales applicables dans la zone de chalandise. Ouvriers du secteur manufacturier et employés du secteur des services ne sont plus seuls concernés. Aujourd’hui, les emplois de techniciens et cadres des industries de haute technologie ou de services à haute valeur ajoutée sont également touchés. Quelles conclusions en tirez-vous au plan social ?

Pour la CFDT, le déplacement de compétences doit se faire avec grande rigueur sur le plan social. S’il s’agit d’implanter des industries de hautes technologies dans les pays émergents pour conquérir des marchés, il ne peut y avoir opposition de notre part. S’il s’agit d’une vraie délocalisation, nous nous battrons contre, notamment sur le plan des contreparties pour les salariés concernés.

La proposition du Label social est une réponse, mais pour la mettre en place, il faut une politique européenne, à l’instar de la taxe aux frontières de l’Europe pour les produits non signataires d’un accord international visant à réduire les émissions de CO2.

Il faut donc éviter la montée des nationalismes en Europe et construire de vraies politiques industrielles européennes. Le concept de champion national ne nous paraît pas être à la hauteur des défis posés par la mondialisation.

La CFDT affirme que la France n’a pas besoin d’un deuxième EPR à horizon 2020. Quelles seraient les priorités à affirmer pour résoudre l’équation énergétique dans une optique de développement durable ? Plutôt que de focaliser sur le renouvellement de l’énergie, ne faut-il pas réfléchir à une meilleure maîtrise de la demande ?

La France souffre d’un problème de consommation de pointe provoqué par l’organisation sociale. Le nucléaire est une production de base, peu adaptée à la gestion des pics de consommation.

Par ailleurs, la question des déchets nucléaires n’est toujours pas réglée, qu’ils soient hautement ou faiblement radioactifs. Ce choix ne cadre pas avec les options retenues par le Grenelle de l’Environnement : au plan de la production, on doit diversifier notre mix-énergétique et atteindre 23 % d’énergie renouvelable en 2020.

Pour la CFDT, la principale priorité est la maîtrise des consommations énergétiques : il faut découpler croissance du PIB et croissance énergétique pour arriver à une consommation par point de PIB inférieure au niveau actuel. Confions aux tarifs régulés la force de l’action publique, en discriminant bien les usages industriels et collectifs des usages domestiques pour améliorer notre efficacité énergétique en faveur d’une croissance durable.

La technologie des compteurs dits « intelligents » est l’un des instruments mis au service de cette régulation : leur déploiement devrait aider à atteindre l’objectif, au même titre que les équipements basse consommation et les techniques d’isolation.

Sur votre dernière question, le bon terrain d’expérimentation est le bâtiment : on pourrait ainsi lutter contre les précarités énergétiques et réduire les inégalités entre ménages. Concentrons d’abord nos efforts de recherche en économie d’énergie sur les logements sociaux.

Quels rôles assignez-vous aux technologies de l’information en matière de développement durable ?

Le progrès est une fois de plus ambivalent : il faut faire une analyse complète du cycle de vie des produits, y compris le recyclage des machines utilisées de manière centrale ou décentralisée, avant de se prononcer.

Eloignés de l’utilisateur, les serveurs de taille importante sont de gros consommateurs d’énergie : d’après le quotidien « Le Monde », « un ‘data center’ de taille moyenne a des besoins d’électricité équivalents à une ville de 35 000 habitants ». Le réseau social Facebook a passé un accord avec PacificCorp, un fournisseur d’électricité utilisant des centrales à charbon !

Il faut donc que les centres de données, type Google ou Yahoo, fassent appel aux énergies renouvelables. Egalement, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir dans ce sens avec des firmes comme Microsoft ou Apple.

Des technologies de l’information qui seraient « vertes » peuvent-elles contribuer à restaurer la valeur-travail au sein de notre économie ?

Conjuguée aux conséquences sur l’environnement d’une économie productiviste, la crise financière de 2008 nous conduit à affirmer que nous sommes face à une crise globale de société. Nous orienter vers une nouvelle croissance inclut l’utilisation des nouvelles technologies mais qui, en elles-mêmes, ne règlent rien. Redonner sens au travail, c’est donner toute sa place à la dimension humaine et sociale.

En pariant sur l’implication et la responsabilité des salariés, notre économie peut retrouver une nouvelle compétitivité : cela passe par un dialogue social de qualité impliquant toutes les parties prenantes et par des compromis équilibrés entre social, environnement et économie. Sortir des logiques d’affrontement pour parvenir à des coopérations, sans exclure l’éventualité de conflits, résume le défi à relever.

1 : Une version étendue de cette interview sera disponible sur le site de la revue Terminal, dédiée à l’analyse critique des technologies de l’information (http://www.revue-terminal.org/).