Sophie Pochic. La question des inégalités professionnelles était-elle légitime quand vous avez commencé vos recherches en sociologie ? Comment vous êtes-vous progressivement intéressées à cet objet de recherche ?

Jacqueline Laufer. C’est au début de ma vie professionnelle que j’ai été sensibilisée à cette question, car j’avais reçu une éducation égalitaire. Mes parents ne m’ont jamais dit : « C’est un bon métier pour une femme ». J’ai fait des études de sociologie et j’ai été recrutée à HEC comme professeur assistant en 1974 ; j’étais l’une des premières femmes professeurs à être recrutée dans cette école qui n’était pas encore mixte à cette époque. Quand j’ai commencé à travailler, un certain nombre de petites choses, minuscules, m’ont ouvert les yeux : il y avait l’égalité certes, mais il y avait des « petites différences ». Au début, j’appelais ça le « facteur F » pour Féminité. Donc en 1978, j’ai voulu commencer une enquête sur les femmes cadres dans des entreprises où j’ai découvert de multiples problèmes et questions1. Maintenant, ces interrogations sur les femmes cadres peuvent sembler évidentes, mais à l’époque, il n’y avait rien ou presque sur le sujet, j’étais en position de « pionnière » en quelque sorte !

Catherine Marry. Moi aussi, sincèrement, j’ai longtemps été aveugle à ces questions. J’avais fait des études scientifiques au lycée, et je ne voulais surtout pas être enseignante, un « métier de femmes ». Je me suis retrouvée en économie du travail et des relations professionnelles, dans une revendication du masculin sans le savoir, et j’ai intégré le CNRS comme technicienne sur une recherche collective que l’on a appelée ensuite « l’analyse sociétale ». D’emblée on a écarté les femmes de cette analyse, parce qu’on considérait qu’