Voici un ouvrage court et facile à lire qui décrit la situation des cadres chefs de rayon ou de secteur dans un hypermarché, telle qu'eux-mêmes sont amenés à la décrire lors des visites chez le médecin du travail. Au fil des pages de ce qui est présenté sous la forme d'un journal, le lecteur suit sur une période d'environ cinq ans, à travers quelques faits saillants, la vie de certains de ces salariés victimes de méthodes managériales voire de harcèlement au travail. Avec les conséquences qui s'ensuivent : mutation, arrêt de travail, dépression, inaptitude, licenciement, tribunal, délitement de la vie privée...

L'auteur fournit quelques informations techniques qui permettent au lecteur de comprendre le cadre d'actions du médecin du travail.

On peut lire ce livre avec plusieurs portes d'entrée : celle des conditions de travail dans la grande distribution, mais aussi celle des conditions difficiles d'exercice de ce médecin du travail, ou bien encore celle des articulations délicates entre les parties prenantes surtout lorsqu'elles sont à la fois acteur et sujet (direction générale, direction locale, CHSCT, inspecteur du travail, délégués du syndicaux...).

Ce témoignage donne à voir des cadres entre résistance à l'inacceptable, ébranlement de la conscience éthique, inconscience d'être acteur de violences managériales, défense aveugle de la ligne hiérarchique... Il montre évidemment les conditions de travail délétères de la grande distribution, y compris pour les cadres, ce qui n'est pas vraiment une révélation. Il interroge aussi sur l'exercice du métier de médecin du travail : en négatif il interpelle la profession des médecins du travail sur sa capacité à s'organiser avec d'autres acteurs (notamment syndicaux) pour transformer des constats en une dynamique d'action correctrice là où ils ont le pouvoir d'agir. Le repli corporatiste n'est pas la solution.

Mais on notera justement à ce propos qu'une écriture à plusieurs mains, pluridisciplinaire, aurait permis de décortiquer le système de management dans toutes ses composantes, économiques, sociales, managériales, sociétales. Alors qu'ici l'exercice d'écriture et de médiatisation risque de ne constituer qu'un témoignage de plus. Fort heureusement, dans sa conclusion, l'auteur n'en reste pas à une vision uniquement « souffrante » du travail mais l'évoque comme source de construction personnelle. Et de clore son livre en disant que le « mieux travailler » est une composante du « mieux vivre ». Il ne peut s'agir que d'un mieux vivre ensemble et, partant, d'un mieux travailler ensemble.