« La crise signifie que l’on se trouve dans l’obligation de renouveler les outils ». Ce diagnostic posé par Thomas Kuhn dans son ouvrage majeur, « La structure des révolutions scientifiques », s’applique pleinement à la science contemporaine. La méthode expérimentale prônée par Claude Bernard semble avoir vécu : confrontés à la fin des évidences et à l’inflation des certitudes, les scientifiques tentent de frayer un chemin au sein du treillis complexe des interactions en mobilisant des systèmes d’hypothèses explicatives appelés modèles.

Mais les modèles forment une catégorie paradoxale, à mi-chemin entre les mots et la réalité qu’ils décrivent. Aussi, après avoir co-dirigé le département des Sciences de la Vie du CNRS pendant plusieurs années, Jean-Marie Legay, biométricien émérite et spécialiste de la génétique des populations, nous propose dans cet ouvrage un discours sur la méthode expérimentale, véritable analyse épistémologique de l’activité de modélisation, si commune à de nombreuses recherches, en particulier celles prétendant répondre à une demande sociale !

Aujourd’hui, faut-il le rappeler, la résolution des problèmes scientifiques issus de la demande sociale nécessite la mobilisation systématique de plusieurs disciplines. Selon Jean-Marie Legay, les scientifiques doivent donc apprendre à accepter cette complexité, à la maîtriser pour l’intégrer à leur culture. Et face à cette complexité, au changement des objets de la science, investir la modélisation comme ligne de défense de la méthode expérimentale. En rupture depuis fort longtemps avec la mono-disciplinarité, l’auteur en appelle désormais ses collègues à « l’indisciplinarité » , comme facteur décisif de dépassement de la crise scientifique contemporaine. Ainsi Jean-Marie Legay rejoint dans cet essai un débat plus profond qu’une simple charge contre le réductionnisme.

1 : « Le raisonnement économique des décisions de l’agriculteur. Trente mots-clés relatifs à l’analyse économique de l’exploitation agricole et à la gestion ». E. Marshall et J. Brossier, Document INRAP, 1981, 234 pages.

2 : Etablissement National d’Enseignement Supérieur Agronomique de Dijon.