Revenons d’abord sur l’événement proprement dit. Ne pose-t-il pas d’emblée un problème de description et de lisibilité, aussi bien pour les acteurs de l’époque que pour nous aujourd’hui ?

Pour ce qui est des acteurs, il faut en effet souligner un paradoxe. On peut l’envisager comme une révolte sociale qui touchait une partie de la culture, l’héritage républicain et humaniste. Des verrous ont sauté, et il ne faut pas méconnaître la dimension « salutaire » de ce déverrouillage : il s’agit d’une reprise de parole de la société, face à un Etat qui avait mené la modernisation depuis la guerre. Mai 68 amène d’abord cette question de la place des individus et de leur parole dans la société. C’est une sorte de catharsis démocratique, un grand déballage…

Mais cela se joue aussi dans une grève générale, dont les apparences sont classiques. On occupe les usines, avec des revendications de salaire… C’est cette rencontre-là qui donne à l’événement son caractère difficilement lisible. Les gauchistes lisent d’abord l’événement dans la continuité des mouvements ouvriers et de 36, ils jouent la grande scène de la grève générale avec occupation et barricades. En même temps, il y a cette chose nouvelle qu’on a quelquefois nommée la « commune étudiante », c’est-à-dire l’apparition de la jeunesse comme acteur social sur la scène politique.

Un des problèmes qui dominent l’époque, et qui expliquent l’avènement de la jeunesse comme acteur social, c’est la remise en cause de l’autorité, qui se joue avant tout dans deux secteurs particuliers : la famille et l’école. L’une et l’autre sont percutées de plein fouet, avec la critique du savoir et celle du père comme figure de l’autorité. C’était un modèle de société encore très traditionnel que l’on contestait, une société dont les règles avaient été formulées au dix-neuvième siècle, qui s