Au nom des membres du bureau du Conseil d’administration, des représentants des organisations syndicales françaises membres de l’IRES, au nom des membres du Conseil d’administration, j’ai le plaisir de vous accueillir pour les 30 ans de l’IRES, l’Institut de recherches économiques et sociales.

C’est un grand honneur pour moi de vous souhaiter la bienvenue pour cet anniversaire. L’Institut, initié sous Raymond Barre, a été fondé en 1982, sous le gouvernement Mauroy, dans le prolongement de l’arrivée de l’Union de la gauche au pouvoir. Aujourd’hui, en 2013, nous fêtons les 30 ans de l’IRES, dans le prolongement de la Conférence sociale de juillet 2012, lancée dans ce même lieu, il y a quelques mois.

L’IRES a trente ans

30 ans, c’est déjà une longue histoire de vie et nous y reviendrons au cours de cette journée. Je mesure le poids de l’héritage de ce passé, construit pas à pas par toutes celles et ceux qui nous ont précédés dans les diverses responsabilités au sein de l’Institut.

30 ans, c’est aussi le temps de l’âge adulte, de la maturité, le temps de la capitalisation des acquis pour mieux se projeter dans l’avenir. Un avenir que nous sommes invités à écrire ensemble. Vous êtes plus de 450 à avoir répondu à notre invitation. Nous avons dû refuser des inscriptions pour cet événement anniversaire, signe de l’intérêt que vous portez à notre Institut de recherches et je vous en remercie.

30 ans, c’est beaucoup de productions, de publications, c’est un formidable capital de connaissances. En quoi celles-ci ont-elles été utiles pour les organisations syndicales depuis l’origine ? Qu’en disent leurs représentants ? Qu’en dites-vous ? En quoi les productions de l’IRES ont-elles été utiles à d’autres acteurs économiques et sociaux, depuis l’origine ? Qu’en disent-ils ? Qu’en dites-vous ? Que cette journée anniversaire puisse nous permettre d’apporter des réponses à ces questions, avec votre concours et celui des chercheurs.

L’IRES n’existerait pas sans les organisations syndicales. L’IRES n’existerait pas non plus sans les chercheurs. Il n’y a pas les chercheurs d’un côté et les organisations syndicales de l’autre. Nous ne sommes pas dans une relation donneur d’ordre sous-traitant, ni dans une relation marchande de commande d’études ou d’achat de prestations. La singularité de cet Institut, c’est sa capacité de coproduction de connaissances par les différents acteurs. Les conseillers techniques des organisations syndicales, fortement impliqués dans la vie de l’IRES, jouent ce rôle de passeurs de connaissances, ils sont avec les chercheurs des artisans de cette coproduction de connaissances.

Cet anniversaire est aussi l’occasion de valoriser les travaux des chercheurs de l’IRES, en mettant en avant la qualité des productions et publications, la singularité des travaux de l’IRES dans le monde de la Recherche. Qu’est-ce que l’IRES a réalisé depuis 30 ans que d’autres n’auraient pas fait ou pas de la même manière ? Quelle est la valeur ajoutée différenciatrice des travaux des chercheurs ? Comment les travaux de l’IRES ont produit des connaissances utiles pour la réflexion et l’action syndicale ? S’il fallait créer l’IRES en 2013, comment faudrait-il l’inventer, avec quelle singularité, quelle stratégie et quelles priorités pour les années à venir dans un environnement de plus en plus incertain, de plus en plus complexe, et de plus en plus contraint sur le plan budgétaire ?

Assurer les conditions de la pérennité de l’IRES

Difficile en effet de parler d’avenir de l’IRES sans évoquer les conditions de sa pérennité et permettez-moi d’en citer trois : le renforcement de sa capacité et de ses moyens de production, la pertinence et la stabilité de son modèle économique et renforcement des coopérations, du travail en réseau avec divers partenaires.

Sa capacité de production est affaiblie depuis ces trois dernières années par le non respect des engagements pris en matière de mises à disposition des chercheurs. Une situation qui va se renforcer dans les deux années à venir avec les départs à la retraite de plusieurs d’entre eux.

Si les choses devaient rester en l’état, c’est ainsi près du tiers de la capacité de production de l’IRES qui serait amputé. Une situation intenable quand dans le même temps, les ressources budgétaires de l’IRES ont été diminuées de plus de 15 % hors inflation en quatre ans. Cette situation a conduit les organisations syndicales à prendre leurs responsabilités pour éviter le déficit d’exploitation en 2012, en mettant la main à la poche et en renonçant à une partie de leur budget d’Agence d’objectifs, une initiative à caractère exceptionnel. Tous les efforts ont déjà été faits pour serrer les budgets internes ; les organisations sont allées au bout de ce qu’elles pouvaient faire.

A cet instant précis, nous ne disposons d’aucune garantie nous permettant de regarder l’avenir avec sérénité. Je ne vous cache pas notre profonde inquiétude, celle des membres du bureau et du Conseil, celle des équipes de recherches et des salariés de l’IRES. Les six leaders des organisations membres de l’IRES ont pris le soin et le temps d’alerter les services de l’Etat dans une lettre commune adressée au Premier ministre le 31 octobre 2012. Cette situation est aussi un frein au renouvellement et au rajeunissement des effectifs de l’IRES, alors que dans le même temps, des chercheurs ont fait acte de candidature, ont été retenus, sans que nous puissions leur apporter de réponse définitive, faute d’accord de détachement de leur structure d’origine. Nous attendons désormais des réponses concrètes.

Sans doute faut-il s’interroger sur la viabilité d’un modèle économique très dépendant de mises à disposition des ministères, de plus en plus difficiles à assurer. Une réflexion a déjà été engagée par les organisations syndicales membres du bureau de l’IRES, mais nous devons dans l’immédiat sécuriser cette transition, avec l’appui et l’engagement ferme de la puissance publique.

Une délégation de l’IRES est aussi intervenue auprès du conseiller social du Premier ministre pour exprimer notre inquiétude sur un risque d’isolement voire de marginalisation de l’IRES dans le paysage futur des agences intellectuelles gravitant autour de l’Etat : CAS, CEE, CEREQ, COR, COE… et dans le contexte de la création du Commissariat général à la stratégie et à la prospective. Nous pensons qu’il est plus que nécessaire de renforcer les complémentarités, les coopérations, le partage et la diffusion des connaissances. L’IRES doit naturellement prendre sa place dans ce nouvel espace.

Les comparaisons internationales et la revue de l’IRES

Un mot sur le numéro spécial anniversaire de la Revue de l’IRES qui constitue sans nul doute une vitrine des travaux de l’Institut depuis 30 ans.

La démarche de comparaisons internationales est inscrite depuis longtemps dans les pratiques de l’IRES ; elle constitue un marqueur identitaire, au risque parfois de questionner les évidences de certains modèles. Cette approche est plus que jamais d’actualité dans une économie mondialisée, dans un environnement où la mise en exergue de l’exemplarité de tel ou tel modèle est devenu un instrument d’argumentation politique. Une approche rigoureuse, pluridisciplinaire et multicritères, inscrite dans la durée, est plus que jamais nécessaire pour prévenir le risque d’une analyse réductrice ou biaisée. Le choix thématique des salaires dans ce numéro spécial en est une illustration.

« Une revue de recherche pas comme les autres destinée à nourrir la réflexion des organisations syndicales », nous dit Jacques Freyssinet en évoquant la revue de l’IRES. Une revue pourtant à part entière, où rigueur et clarté d’exposition et facilitéde lecture doivent cohabiter, comme dans d’autres revues de recherche.

Si singularité il y a, c’est bien celle de nourrir la réflexion des organisations syndicales, ce qui suppose une double exigence : que ces dernières puissent le plus en amont possible exprimer leurs attentes, leurs besoins pour alimenter leur réflexion, que la question de la valeur d’usage pour le destinataire final soit partie intégrante de la démarche des chercheurs. Le meilleur moyen de satisfaire cet objectif est bien d’y travailler le plus en amont possible entre chercheurs et syndicalistes, avec un maximum de synergies, de complémentarités. Les conseillers scientifiques de l’IRES, en provenance des organisations membres sont invités à contribuer pleinement à la définition des programmes scientifiques à moyen terme de l’Institut. Ils sont aussi les garants de la rigueur scientifique des travaux de l’Institut.

Le directeur de l’IRES, Frédéric Lerais, insiste à la fin de son éditorial sur la nécessité de ne jamais dissocier la recherche des problèmes auxquels sont confrontés les salariés et leurs représentants pour les années à venir. Proximité à des réalités de plus en plus diversifiées, complexes parfois, d’un monde du travail et des relations professionnelles, tel qu’il est, et pas toujours comme nous le voudrions. Une exigence d’éclairages, de production de connaissances utiles pour tous les acteurs concernés, mais aussi l’expression de notre singularité et surtout la garantie de la qualité des travaux et de la pérennité de l’Institut, pour les 30 ans à venir et plus encore.

La Conférence sociale de juillet 2012 a marqué la volonté du pouvoir politique de redonner une place importante au dialogue social dans ce pays. Beaucoup ont salué la méthode, le choix de la concertation, l’articulation entre démocratie politique et démocratie sociale. Cette démocratie sociale doit s’appuyer sur une méthode, un dialogue social renforcé, et aussi sur la production et le partage de connaissances utiles à l’action des organisations syndicales et en particulier aux négociateurs à tous les niveaux. Les études et recherches doivent y contribuer positivement.

Les organisations syndicales et les connaissances produites par l’IRES

C’est bien l’originalité de l’Institut, cette coproduction de connaissances avec les organisations syndicales représentant les salariés, en repartant des réalités professionnelles, des réalités du dialogue social. Sa singularité, c’est aussi de coproduire ce que d’autres ne feraient pas ou différemment, sa capacité à travailler en réseau, avec d’autres instituts de recherche, laboratoires, agences gouvernementales. L’Institut doit continuer à jouer un rôle de passeur de connaissances entre les différents acteurs de l’économique et du social et parfois même sur certains thèmes de recherche, prendre ses responsabilités d’animation de réseaux. La réflexion prospective engagée par les membres du bureau de l’IRES en lien avec le directeur de l’Institut et les équipes de recherche doit contribuer à éclairer nos choix pour l’avenir et rendre l’IRES plus visible et plus lisible.

Plus visible car les résultats des travaux de recherche sont connus dans des cercles encore trop restreints. La diffusion des connaissances au sein même des organisations membres, doit être améliorée. La diffusion à plus grande échelle de ces travaux mérite aussi réflexion. C’est le sens des travaux engagés par la gouvernance de l’IRES et les équipes sur les publications, le référencement de la revue. Ces résultats de recherche doivent être aussi parfois plus lisibles. La question des usages des connaissances produites doit retenir toute notre attention. Quel constat peut-on dresser par exemple, depuis l’origine de l’IRES, de l’usage des connaissances produites par les négociateurs des organisations syndicales, quel que soit le niveau de négociation, national interprofessionnel, de branche, d’entreprise ?

Cette question des usages est sans nul doute indissociable de celle des attentes des organisations syndicales. Nous sommes tous invités à progresser dans notre expression de besoins de connaissances utiles pour la réflexion et l’action des organisations syndicales en priorité mais plus largement des acteurs économiques et sociaux.

Une meilleure articulation entre l’économique, le social et l’environnemental n’est plus une priorité, c’est un impératif. Puisse l’IRES y contribuer pour les 30 années à venir. C’est tous les vœux que l’on peut formuler en ce début 2013. Je me permets de reprendre une citation de Clémenceau qui disait « Tout ce que je sais, je l’ai appris après mes 30 ans ». Nous ne savons sans doute encore pas tout. Longue et belle vie à l’Institut. Belle et riche journée à vous tous. Je vous remercie de votre attention.