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Les zones grises des relations de travail et d’emploi. Un dictionnaire sociologique.

Tout d’abord que comprend-on par temps lié à l’emploi ? Plusieurs définitions permettent de distinguer différents niveaux. La première notion, le temps de travail dans son lien à l’emploi salarié, décrit la durée pendant laquelle un employé est à la disposition de son employeur. Cette durée journalière, hebdomadaire et annuelle du travail obéit à des normes légales et à des règles issues de la négociation collective entre organisations syndicales et employeurs. La notion de temps de travail peut ensuite être élargie sur le plan sociologique pour désigner le temps consacré à toute activité de travail non-salarié, comme celui des indépendants, agriculteurs, ou encore le travail non rémunéré dans la sphère privée (travail domestique, soins, éducation, etc.) En revanche, les diverses protections associées au travail salarié (durée maximale, repos minimal) ne s’appliquent pas mécaniquement à l’ensemble de ces modalités d’organisation du temps de travail.

La deuxième notion importante concerne les temps consacrés à une diversité d’activités (travail, école, loisirs, famille, repos, activités domestiques, engagements citoyens, etc.). Ces temps consacrés et délimités par des activités sont généralement identifiés comme des « temps sociaux ». En relation avec l’emploi, on s’interroge souvent sur la possible articulation de ces temps sociaux, notamment sur la possibilité d’articuler activités professionnelles et non-professionnelles. S’occuper d’un parent malade, chercher un enfant à l’école ou effectuer des démarches administratives nécessitent de pouvoir articuler les temps sociaux.

Une troisième notion prend de la distance avec ces temps objectivables par une durée ou par des types d’activités, temps de travail et temps sociaux. Lorsque l’on s’interroge sur les qualités ou le caractère de ce qui se déroule dans le temps, on parlera de temporalités. Cette notion interroge le sens, le vécu, les valeurs et les rapports, bref le versant subjectif des temps. Dans cette perspective liée au sujet, une « longue durée » peut par exemple renvoyer à une activité considérée comme « monotone » ou « ennuyeuse ».

Temps de travail

Trois dimensions caractérisent le temps de travail : la durée, mais aussi les horaires (la localisation des plages de travail) et le rythme (succession, cadence, alternance) des périodes de travail. Le temps de travail institue une séparation entre la vie de travail et la vie hors travail. Cette séparation constitue, comme le souligne un enjeu social important, puisqu’elle divise la vie sociale en deux. Le temps de travail définit le cadre des activités sociales, il les inscrit dans un temps contraint et rythme le passage d’une activité à l’autre. Ce temps de travail est étroitement lié à l’émergence du capitalisme industriel au 19e siècle. L’éloignement des agriculteurs et travailleurs des activités hétérogènes à la campagne ou dans les villes s’effectue au profit d’un temps contraint qui s’exerce désormais au sein des usines. La division de la vie en deux est liée à l’espace de travail, la fabrique, mais aussi aux machines, notamment celles à vapeur, qui dictent leurs lois aux ouvriers à partir du 19e siècle.

En 1874, Engels écrit à propos des filatures de coton : « Tous ces ouvriers, hommes, femmes et enfants sont contraints à commencer et terminer leur travail à une heure qui est fixée par l’autorité de la vapeur, qui ne se soucie pas de l’autonomie individuelle » (1976, p. 56). Jusqu’à cette innovation technique et organisationnelle que constitue l’industrie de la vapeur, un mouvement bien plus vaste a été engagé visant à discipliner les individus au travail. Cette discipline temporelle correspond à un mouvement historique, avec au centre les horloges et les montres. Bien plus que les machines à vapeur, ces outils ont été utilisés pour démarquer la vie de travail de la vie hors travail.

En 1966, Thompson écrit : « Sans cette discipline horaires, l’homme de l’âge industriel n’aurait jamais pu déployer toutes ces énergies » (2004, p. 82). L’horloge est le symbole et l’outil de cette discipline qui correspond à une pensée de l’efficacité économique tout autant qu’à un contrôle social. Cette discipline temporelle sert à faire venir et à maintenir les individus au travail, à les faire travailler plus (en cachant et en manipulant les horloges) et à les faire renoncer aux coutumes et aux modes de vie antérieurs. Cette discipline temporelle est accompagnée d’une idéologie d’un temps rare, calculable, mesurable, abstrait et coupé des activités multiples. Au travail à la tâche succède alors le travail au temps hors de contrôle des ouvriers. L’employeur utilise désormais tout un arsenal de règles punitives pour faire respecter les temps de l’horloge. Mais différentes formes de résistances ont accompagné ce processus de la division de la vie en deux par la discipline temporelle : « Dans un premier temps, elle se heurta à une simple résistance. Dans un deuxième temps, à mesure que la nouvelle discipline horaire était imposée, les ouvriers commencèrent à se battre non contre le temps, mais à propos du temps » (Thompson, 2004, p. 70). Après avoir combattu la discipline temporelle, c’était alors la période de l’internalisation de la « discipline horaire » par les travailleurs et le début du combat pour la réduction de la durée du travail. Les endroits où la discipline avait été imposée avec le plus de force ont été aussi ceux où les ouvriers ont le plus revendiqué la réduction de la durée du travail. Mais la discipline temporelle avait fini par détacher une partie de la vie sociale, désormais au service exclusif de la sphère productive.

Temps libéré, temps libre et loisir

Lorsqu’entre 1835 et 1836 le médecin Louis René Villermé enquête dans l’industrie cotonnière à Mulhouse, il constate pour les femmes, hommes et enfants des journées de travail « d’au moins 15 heures ». À partir de la publication de son enquête, le législateur s’empare de la question en fixant l’âge minimal des ouvriers à 8 ans dans les entreprise de plus de 20 salariés, et la durée du travail à 8 heures par jour avant 14 ans et à 12 heures pour les moins de 16 ans (1841). Le mouvement ouvrier obtiendra par la suite la journée de 12 heures en 1848. Une évolution lente et parfois contradictoire permet par la suite de réduire progressivement la durée légale hebdomadaire du travail de 84 heures en 1848 à 35 heures à la fin des années 1990. L’instauration du repos dominical (1906) et des congés payés (1936) promeuvent la réalité d’un temps libéré du travail permettant d’investir des domaines de la vie sociale que l’industrie s’était accaparés. La question qui naît au cours des années 1950 au sein de la sociologie française porte sur le contenu et le sens de ce temps libéré. Permettra-t-il de dépasser ou atténuer la division de la vie en deux dont le temps de travail industriel a été l’architecte ? La réponse à cette question est plutôt négative, même si des liens entre temps de travail et temps libéré sont incontestables. La sociologie du travail a pris acte de cette division, mais elle débat de la manière d’évaluer le temps libéré.

Deux points de vue vont s’opposer sur cette question, celui de Georges Friedmann (1902-1977) et celui de Joffre Dumazedier (1915-2002).

Pour le premier, la civilisation technicienne avec ses instruments et machines est à l’origine du temps libéré, séparé du temps de travail. « Cette séparation est commandée par l’organisation du travail, sa discipline, par la division des tâches, la structure des entreprises, la cohésion des armées industrielles qui les peuplent » (Friedmann, 1960, p. 552). Pour lui, l’opposition historique entre ceux qui ne font que travailler et ceux qui ne font rien s’atténue et la séparation de la vie en deux concerne désormais le monde du travail dans ensemble à l’exception du monde rural qui maintient « des îlots de résistances ». La technique produit le temps libéré et des possibilités de loisir selon un modèle hédoniste qui se diffuse sur l’ensemble de la planète. Cependant, pour Friedmann ces « moyens de bonheur » restent théoriques, car « ni les sociétés, ni les individus ne sont préparés à le réaliser » (Friedmann, 1960, p. 554). Contrairement au travail dans les sociétés préindustrielles (fêtes, rites, art populaire), la société contemporaine ne possède pas d’institution qui renvoie au loisir. En plus des temps de transports allongés dans les métropoles, les effets néfastes du travail divisé et répétitif dégradent le temps libéré, provoquant fatigue, apathie, recherche de compensation et repli sur soi. Friedmann dégage alors deux terrains pour le combat : le temps de travail lui-même et le temps hors travail. Il propose « de distinguer soigneusement temps libéré et temps libre, en réservant cette dernière appellation à la durée, préservée de toutes les nécessités et obligations précitées » (Friedmann, 1960, p. 556). L’existence d’obligations économiques implicites des travaux domestiques, bricolage, potager, voir du travail au noir pour les autres ne saurait correspondre à du temps libre, c’est « du travail après le travail ». En plus, la consommation prend le pas sur les loisirs. De nouveaux besoins constamment promus par les médias et la publicité détournent les individus des loisirs. Cette consommation de masse indifférenciée selon les catégories sociales dissout la culture prolétarienne et la conscience de classe. La production du temps libéré ne suffit pas à créer du loisir. Des capacités de résistance existent, mais nécessitent des institutions de loisir, nombreuses et bien équipées : éducation, formation, incitation permanente à la culture. Cette action permettrait la « découverte de l’homme par lui-même à travers la transmutation du temps libéré en temps libre » (Friedmann, 1960, p. 563). Ce premier point de vue est donc critique quant à la possibilité des individus d’investir par libre choix le temps libéré par du loisir.

Dans ce débat un autre point de vue, moins pessimiste, émerge des travaux de Joffre Dumazedier. D’emblée, il situe l’émergence des loisirs dans les possibilités offertes par la réduction considérable de la durée du travail, journalière, hebdomadaire, annuelle. Le seul fait que le travail n’a pas plus le monopole de l’activité constitue une rupture importante. « Ainsi, dans la vie d’un travailleur, l’élévation du niveau de vie s’est doublée d’une élévation croissante du budget des heures libres. […] : un temps nouveau est né pour ses actes et ses rêves » (Dumazedier, 1960, p. 564). Pour lui aussi le machinisme a augmenté le déséquilibre entre le travail et le loisir, en allégeant les tâches, au détriment de l’intérêt et de la liberté des activités. La multiplication des moyens techniques (transports, médias, associations, groupes) a accru les activités de loisir bien plus que la machine n’a réussi à desserrer les contraintes sur les hommes. Mais le loisir est devenu un droit et une valeur. Cette affirmation contredit doublement la notion de travail comme « l’essence de l’homme »
(Marx) et celle du loisir comme oisiveté. Dumazedier considère le loisir comme une conquête de la dignité ouvrière. Il fonde une nouvelle morale du bonheur :
« Ainsi le repos traditionnel a été remplacé par un ensemble d’activités d’un caractère nouveau, qui se sont, en partie, substituées aux jeux et fêtes traditionnels et apparaissent comme des activités qui ne sont ni de l’ordre de la nécessité comme le travail, ni de l’ordre des obligations comme les devoirs familiaux ou sociaux » (Dumazedier, 1960, p. 565). Les théories sur les relations actuelles entre société et cultures sont obsolètes, car antérieures à ce fait nouveau et peu en phase avec une sociologie empirique du loisir. L’hypothèse centrale est que des transformations profondes s’opèrent dans toutes les classes sociales à partir du loisir. Bien que le loisir ait fait l’objet de recherches depuis la fin du 19e siècle, surtout dans des expressions spécifiques (cinéma, voiture, associations, hobbies, etc.), la notion lui semble mal structurée, indifférenciée, abstraite, avec des points de vue trop critiques et pas assez constructifs. Il s’agirait de répondre à la question des rapports entre travail et loisir, de la répartition du temps gagné sur le travail, sur l’allongement de la scolarité et de la retraite et concernant les effets de la réduction journalière, hebdomadaire ou annuelle du travail. Il s’agirait ensuite d’instruire les conditions de l’épanouissement de l’homme dans les différentes classes de la société industrielle. Le loisir serait une activité improductive avant, pendant ou après la période de production.

La question porte sur le contenu et le sens du temps libéré

Mais le temps libéré inclut aussi les activités qui ne sont pas du loisir : obligations familiales, sociales, personnelles, second métier. De plus il existe une zone grise entre loisir et travail, appelée le « semi-loisir » où existe de manière variable une obligation : activités récréatives rémunérées, sportives, musicales, obligations domestiques, jardinage, bricolage, fêtes civiques ou religieuses. « L’étude de la variation de la dimension et de la signification de cette zone, selon l’évolution des niveaux de vie et des niveaux de culture, est l’un des problèmes les plus mal connus des sociétés industrielles » (Dumazedier, 1960, p. 568).

Trois fonctions sont accordées au loisir : le délassement (délivrance de la fatigue), le divertissement (libération de l’ennui) et le développement (épanouissement de la personnalité). L’objectif est d’une part de favoriser l’étude systématique du loisir et ses rapports avec les autres domaines de la société et, d’autre part pour ce faire, de constituer un champ autonome de la sociologie indépendant de la sociologie du travail et industrielle qui ont fait naître les études du loisir. Dumazedier propose une sociologie qui s’abstient de jugements de valeur sur les différents loisirs, mais s’intéresse sociologiquement à leurs valorisations portées par les acteurs eux-mêmes.

Les positions de Friedmann et de Dumazedier s’opposent. Ce dernier propose de partir du temps libéré du travail pour étudier les formes et activités du temps libre qui sont du loisir. L’existence d’une zone grise incluant des obligations (semi-loisir) ne doit pas empêcher le projet global d’une recherche systématique sur les activités du temps libre. Celles-ci sont devenu un moteur du changement social. Friedmann, quant à lui, estime que le temps libéré n’offre que des potentialités pour le temps libre. Celles-ci restent fondamentalement dépendantes de la sphère professionnelle et recouvrent en grande partie des obligations qui sont du travail. Le capitalisme et la société de consommation empêchent le développement personnel dans des activités de loisir. Seule une action institutionnelle forte peut favoriser l’émancipation.

Temporalités contemporaines et bien-être

La succession de ces notions (temps libéré, temps libre et loisir) à partir du temps de travail exprime la recherche d’un bien perdu. Le temps de travail qui sépare la vie du travail, a donné lieu à des approches qui tentent d’évaluer les possibilités de retrouver des équilibres « naturels ». Que ces équilibres soient modélisés à partir des sociétés préindustrielles (Thompson) ou proposés par une analyse des rythmes du travail de la société contemporaine (Grossin, 1996), l’objectif est de réarticuler ce que l’industrialisation à fait perdre à l’humanité. Cette critique du temps industriel se fonde sur la multiplicité des temporalités sociales, sur le caractère déstructurant du travail, sur l’existence du temps libre et sur les vécus différenciés des activités professionnelles aujourd’hui (Thoemmes, 2008). Deux approches en particulier se donnent comme objectif de mettre ces équilibres en question.

La première de William Grossin s’interroge sur l’avènement de l’écologie temporelle. Il analyse d’abord les cadres temporels dont les caractéristiques sont la rigidité, la coercition et la régularité. C’est un temps enfermant et retranché : « les cadres temporels réservent à l’individu une situation absurde. Ils le dépossèdent d’une partie de son temps libre pour lui vendre l’autre partie » (Grossin, 1996, p. 28). Il propose ensuite un modèle d’analyse et un programme de recherche qui vise à intégrer les temps construits (sociaux) et les temps biologiques et naturels. Les cadres « malsains » (on peut penser en particulier ici au travail de nuit, au travail posté, au travail à la chaîne, à la précarité, etc.) s’opposent aux temps biologiques des corps, au bien-être physiologique, psychologique et social. De même, les pesticides dans l’agriculture s’opposent aux temps biologiques. Les temps des plantes doivent être mis en balance avec le temps des hommes. Ces deux exemples illustrent le programme d’une écologie temporelle qui doit mettre en équilibre une diversité de temporalités sur la planète. Cet équilibre prévaut aussi pour l’individu. Grossin propose à ce sujet la notion « d’équation temporelle personnelle ». « L’équation temporelle de base se définit comme une configuration de traits communs aux individus qui participent d’une même culture » (Grossin, 1996, p. 128). Ces équations varient d’une personne à l’autre. Différentes variables personnalisées interviennent dans cette équation : l’orientation, l’horizon, la disponibilité, la gestion et la création. Ces équations personnelles peuvent être détériorées par des crises économiques, par le chômage, par le surmenage et par la perte d’équilibre entre les temps personnels et les temps professionnels. L’objectif d’une écologie temporelle viserait par conséquent l’accord entre les milieux et les variables de l’équation temporelle personnelle en vue d’une vie satisfaisante et saine.

La seconde approche des temporalités du bien-être porte sur l’articulation des temps sociaux. La dissociation entre des temps vécus et des temps mesurés pose le problème de leur synchronisation et de leur harmonisation à l’intérieur du tissu social (Mercure, 1995). De nouveaux équilibres entre temps libres et les autres temps sont trouvés par les individus et analysés en fonction des générations et des catégories sociales (Pronovost, 1996). La différenciation des temporalités selon la sphère d’activité (travail, famille, etc.) accompagne la mutation des temps sociaux centré sur un temps dominant (le temps de la production) vers des temps davantage négociés (Dubar, 2004). Les approches en termes de « conciliation » des temps sociaux déplacent le curseur sur l’articulation emploi-famille, sur la difficulté de gérer les deux en même temps, sur le genre et sur les solutions proposées (Tremblay, 2008). La préoccupation commune de ces approches est d’interroger l’articulation des temps dissemblables et l’analyse d’équilibres nouveaux.

La succession de ces notions (temps libéré, temps libre et loisir) à partir du temps de travail exprime la recherche d’un bien perdu

Ces nouvelles approches ont aussi déplacé le regard sur la division de la vie en deux pour privilégier l’analyse sur les va-et-vient entre travail et vie privée. La « porosité » de cette frontière s’illustre par des situations de plus en plus fréquentes dans l’emploi salarié : ramener du travail chez soi le soir et pendant le week-end, répondre aux mails pendant les vacances, ou encore consulter les réseaux sociaux ou faire des jeux ou achats à distance pendant les heures de travail. La porosité permet de poser de nouvelles questions quant au travail à la maison (home office, télétravail), sur les protections manquantes de ces formes de travail salarié ou indépendant, mais aussi sur de nouvelles possibilités de choix offertes aux salariés.

La porosité décrit une zone grise des temporalités dont la signification dépend du vécu. Lorsque celle-ci est imposée dans le cadre d’un travail qui ne bénéficie pas des protections traditionnelles associées au salariat à temps plein (temps partiel court, travail détaché, travail à domicile des knowledge workers, travail discontinu dans la journée, intermittents du spectacle, etc.), la porosité est souvent vécue comme une contrainte liée au statut précaire. Mais ce même statut précaire peut aussi permettre à certains de réaliser des aspirations subjectives à la porosité. Le débordement du travail par la multi-activité peut être ainsi regardé comme une libération ou une réalisation (Cingolani, 2014). Des professions artistiques, le crowdworking autogéré et le travail numérique indiquent de nouveaux rapports au temps visant à dépasser les dichotomies temps professionnels/temps privés, lieu de travail/lieu de vie et subsistance/création. Une activité librement conçue dans son contenu comme dans son environnement passe par un remodelage des temporalités héritées de la révolution industrielle.

Nous pouvons avancer que les zones grises des temps concordent souvent avec celles de l’emploi. Les temps d’attente et d’astreinte, les temps en déplacement, les temps des soins familiaux sont des temps contraints à la limite de l’emploi. Les distinctions entre travail et loisir, activité professionnelle et retraite, métier et formation, travail formel et informel bougent selon les conditions changeantes du capitalisme. Mais ces distinctions évoluent aussi en fonction de nouvelles aspirations, souvent des plus jeunes, cherchant à dépasser le carcan du travail industriel, à contrôler leur emploi du temps et à trouver un bien-être avec une autonomie regagnée.

Bibliographie Dubar, C. (2004) « Régimes de temporalités et mutation des temps sociaux », Temporalités. Revue de sciences sociales et humaines, 1: 117‑129. Dumazedier, J. (1960) « Problèmes actuels de la sociologie des loisir », Revue Internationale Des Sciences Sociales, 4: 564‑573. Engels, F. (1976) « Von der Autorität », in G. Büschges (dir.), Organisation und Herrschaft, Rowohlt Taschenbuch Verlag: 55‑85. Friedmann, G. (1960) « Le loisir et la civilisation technicienne », Revue Internationale Des Sciences Sociales, 4: 551‑563. Grossin, W. (1969) Le travail et le temps: horaires, durées, rythmes, Anthropos. Grossin, W. (1996) Pour une science des temps: introduction à l’écologie temporelle, Octares. Mercure, D. (1995) Les temporalités sociales, L’Harmattan. Naville, P. (1969) « Préface », dans Le travail et le temps: horaires, durées, rythmes, Anthropos. Pronovost, G. (1996) Sociologie du temps, De Boeck université. Thoemmes, J. (2008) « Sociologie du travail et critique du temps industriel », Temporalités. Revue de sciences sociales et humaines, 8. Thompson, E. (2004) Temps, discipline du travail et capitalisme industriel, La Fabrique Éditions. Tremblay, D.-G. (2008) Conciliation emploi-famille et temps sociaux, Télé-université, Université du Québec. Villermé, L.R. (1840) Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie, Jules Renouard et Cie.