Laurent Quintreau nous promène dans l’intimité de ses rencontres avec des salariés aux prises avec leurs conditions de travail : violence du s’adapter ou partir, enrôlement subjectif de la personne, échappatoires d’urgence (maladie, inaptitudes…), exclusions durables (de l’handicap à l’absence de diplôme), aliénation par les process… L’homme au travail est surchargé : les objectifs se démultiplient, le plaisir de réussir est remplacé par l’euphorie de la conquête, la pause, l’observation et l’inaction sont devenues suspectes… Un miroir aux affects pas moins légitime qu’un traité de sociologie clinique.

L’auteur questionne le lien salarial à l’heure du travail immatériel : « c’est à un savant dosage de créativité, de pro-activité, d’implication et de dévouement que mène le lien de subordination qui unit le travailleur à sa direction, proie fascinée par le chatoiement de cette puissance si proche ». Mais ce Moi au pays du travail est avant tout un livre drôle, vif, rempli de références culturelles et philosophiques qui accompagnent le lecteur. Ce qui semble ici dénoncé est la feinte. Il y est décrit un monde où l’on fait semblant de travailler, de se parler, de s’engager. Chacun s’enferme dans un rôle prédéfini, un statut ou une posture. Il y aurait des dominants, des victimes, des coupables.

On lira alors cet ouvrage comme un appel implicite au dialogue et à la coopération qui se décident et prennent leur place dans l’engagement professionnel et le management. On y lira un appel à dépasser nos ressentis. Non pour les renier, mais pour nous encourager à mettre de la rationalité dans un quotidien réactif. Loin de s’enfermer dans le développement personnel, l’ouvrage, parce que l’auteur est un syndicaliste (responsable du Betor-Pub CFDT), est une porte ouverte qui encourage à passer du « moi » au « je ». Projets de vie, mobilités professionnelles, mais aussi attachement à son métier et recherche d’une identité professionnelle, les stratégies des salariés sont diverses, même si on ne peut nier les tentations de repli. On regrettera l’absence d’« une volonté collective de convergence » face aux « sommes d’individualité » qui sont avant tout des scènes de solitudes. Mais l’auteur assume ce qu’il voit et transmet une réalité sociale. Le métier syndical, c’est aussi de rendre compte.