Quel est l'impact de la mondialisation de l'économie sur le travail en tant que force productive et ciment du « système de libre entreprise et de marché » constitutif de notre économie post industrielle ? Peut-on si facilement proclamer « la fin du travail » ou doit-on, de façon plus empirique, dresser le constat de l'effritement de la société salariale ? Quelles sont les incidences de l'automatisation sur les modalités de participation de l'individu au processus de production ?

Autant de questions auxquelles l'ouvrage de Dimitri Uzunidis et Sophie Boutillier, respectivement économiste et sociologue de l'Université du Littoral à Dunkerque, tente de répondre en analysant la mise en place de nouvelles formes d'organisation productive et en resituant la place du travail en tant que facteur de production mais aussi comme mode privilégié d'insertion.

Karl Marx a dans ses Grundisse défendu la thèse selon laquelle «le capital a tendance tout autant à accroître la population qui travaille qu'à poser constamment une partie de celle-ci comme surpopulation». Le chômage et la dégradation des conditions salariales dans les pays industrialisés, le transfert des activités de production fortement consommatrices de main-d'œuvre dans les pays moins développés ont conduit les auteurs partant du point de vue marxien à poser le diagnostic d'une mise en sommeil du travail salarié.

L'épuisement du mode de production et de consommation fordien enregistré dès la fin des années soixante a conduit les entreprises à réduire leurs coûts de production, à accroître la productivité du travail grâce au lancement de grands programmes d'automatisation et à la diffusion de méthodes de production centrées sur les flux de marchandises. Mais la diffusion des technologies numériques d'automation, rapide au cours des décennies soixante-dix et quatre-vingt, s'essouffle désormais. Le coût d'investissement nécessaire à l'installation puis à l'entretien des automates augmente plus vite que celui du travail direct. Ainsi les mesures « d'aménagement du temps de travail » traduisent l'effort d'adaptation demandé aux entreprises par les gouvernements des pays industrialisés pour réaliser un compromis plus efficace entre les différents facteurs de production et obtenir ainsi une fonction de production plus adéquate face à la structure actuelle des coûts.

Si la flexibilité du temps de travail permet aux entreprises de réaliser des économies sur les coûts du travail mais aussi sur ceux du capital, elle se traduit au plan social par l'intensification des rythmes de travail, l'extension du temps partiel non désiré, la précarisation des statuts. Selon la première partie de l'ouvrage, l'étude du lien entre automatisation, chômage et flexibilité montre que le travail direct est désormais bradé. Au centre des « politiques d'attractivité » menées par les Etats-Nations, figure l'offre de travail, abondante, bon marché et affranchie de tout usage conditionnel. Ainsi, la condition salariale perdrait l'aura de stabilité et de sécurité qu'elle avait acquise durant la parenthèse des Trente Glorieuses. Historiquement, le salariat, à travers ses formes précaires, resterait donc l'un des fondamentaux de la régulation du système capitaliste.

La mondialisation du capital financier favorisée par les politiques publiques de déréglementation permet aux firmes transnationales de fragmenter les collectifs de travail pour mieux les intégrer aux nouvelles formes d'organisations productives que sont les firmes-réseaux et les réseaux de firmes. Les grandes firmes transnationales gèrent désormais des collectifs de travail mondialisés. La gestion flexible du travail est réalisable grâce à l'usage des technologies de l'information. L'objet de la deuxième partie de l'ouvrage est d'étudier les stratégies de délocalisation/relocalisation de la production en liaison avec les modalités de coordination et de gestion de ces collectifs de travail.

Un travail mondialement bradé, telle est la conclusion d'un ouvrage dont le mérite est de réexaminer la nouvelle norme de socialisation de la production capitaliste à la lumière des développements de l'innovation technique.