Il faut lire ce Petit Traité du compromis à l’aune de l’actualité et pourquoi pas de la crise grecque en Europe. Lorsqu’on entend les diverses observations tourner autour de la nécessité de trouver un « compromis », on est amené à se poser des questions à propos de cette notion et sa signification. En consultant le Petit Robert, on apprend que le compromis est « une convention par laquelle les parties, dans un litige, recourent à l’arbitrage d’un tiers ». Mais cette notion signifie aussi « un arrangement dans lequel on se fait des concessions mutuelles », ce qui n’a rien à voir avec la compromission qui est « un acte par lequel on transige avec sa conscience ». Citons à ce propos Ludwig Erhard, ancien chancelier de la République fédérale d’Allemagne et père de l’économie sociale de marché, qui considérait le compromis comme « l’art de partager un gâteau de sorte que chacun ait l’impression d’avoir obtenu le plus grand morceau » ! Bien que notre vie soit un long fleuve de compromis, le sociologue Christian Thuderoz estime qu’en France ce phénomène « n’apparaît tout simplement pas… comme un thème digne d’attention ». Fort heureusement, cet enseignant-chercheur consacre une grande partie de ses recherches à ce sujet. En citant le philosophe allemand George Simmel, il rappelle que le compromis est « une des plus grandes inventions de l’humanité, tant il fait partie des techniques que nous utilisons tout naturellement pour notre vie quotidienne ».

Nous sommes donc tous condamnés au compromis, puisqu’il faut « allouer des droits, partager des biens, attribuer des ressources, définir des règles ». L’auteur qualifie toute la « pensée du compromis » qui est une « pensée de la mesure », de « l’équilibre, ce qui n’a rien à faire avec la moyenne ». Ce traité analyse le compromis sous divers angles, avant de présenter avec conviction son « éloge raisonné du compromis ». En illustrant avec des exemples empruntés à l’histoire et au passé récent, C. Thuderoz analyse le compromis en tant que tel, ses diverses formes et ses méthodes de construction. Le compromis doit être honorable (et n’est pas le résultat d’une extorsion ou de la fraude), équitable (acceptable par les parties puisqu’il est raisonnable) et efficient (il enrichit les parties et il implique une réélaboration des valeurs communes).

Les conditions qui doivent être remplies pour aboutir à un bon compromis – n’oublions cependant pas le rôle qu’un tiers peut jouer dans ce contexte – sont les suivantes : le respect de certaines règles procédurales telles que l’égalité d’accès des participants à l’information disponible, l’organisation correcte des débats ; des règles comportementales, telles qu’un respect réciproque, pas d’intimidations ; des procédures de construction des formules compromissoires telles que l’exploration de divers scénarios ; des garanties telles que la possibilité de se référer à un expert, le libre consentement au contrat. Bien que C. Thuderoz fasse observer dans sa conclusion que le compromis n’a pas bonne presse, son éloge raisonné du compromis illustre que c’est lui qui rend possible le vivre ensemble et la construction d’une société. Le compromis est en effet le garant du pluralisme et une méthode pragmatique pour le faire vivre. Il rend les choses comparables et les rapproche. Il est « génératif », ouvre une troisième voie. Il est robuste. En fait, c’est une véritable « procédure démocratique de décision ».

Il ne suffit cependant pas d’en louer les mérites pour garantir sa véritable existence. Il faut le penser. Ce qui signifie « produire une pensée de midi » (Albert Camus). En bref, une pensée constructive. Penser le compromis permet de faire face à l’incertain. C. Thuderoz se réfère à Némésis, la déesse grecque du partage et de l’équité. « Répartir équitablement, c’est donner à chacun son dû, sans excès, sans démesure. Le compromis est en pratique et par définition un abandon, un renoncement ». Le Petit Traité, dont la lecture nécessite de la concentration, nous permet de comprendre plus facilement certaines prises de décisions, notamment de caractère politique, et ceci également grâce aux diverses illustrations. Illustrations qui pourraient utilement être davantage complétées par des exemples empruntés au domaine du droit, particulièrement au droit social national et surtout international, un domaine particulièrement riche en discussions pour trouver un compromis. C’était certainement suite à un compromis, malheureusement peu satisfaisant, que l’auteur a mis ses nombreuses références bibliographiques, indispensables pour la bonne compréhension de ce livre, à la fin du livre et non pas en bas de page, ce qui aurait rendu la lecture du livre plus aisée. Une nouvelle édition, enrichie d’autres exemples, notamment de l’histoire récente serait très bénéfique pour le lecteur et aiderait considérablement les responsables dans leur prise de décisions, et ce sans oublier le grand nombre de lecteurs intéressés par le sujet.