Les confinements et la crise sanitaire ont remis le sens du travail dans le débat public, nourri depuis par la crise des retraites qui montrera l’importance de sa soutenabilité. La qualité du travail est devenue un cap sociétal important et ce malgré la persistance du sous-emploi. Parce qu’il est devenu très serviciel, qu’il s’inscrit davantage dans l’accomplissement de soi et que les conditions sont de plus en plus dures[1], il faut soigner le travail et plus seulement déployer une politique d’emploi et de protection sociale.

Qu’est-ce que cela signifie ? Un travail soigné, ce n’est pas seulement la qualité du livrable. C’est également – et c’est sans doute le plus important – celle de l’action, du chemin emprunté pour y parvenir. Bien faire son travail, c’est le considérer, en tant que tâches, ficelles du métier, finalité, c’est-à-dire une attention aux différents sens de l’activité. Mais également en tant qu’expérience humaine et subjective. Qu’est-ce donc que le travail sinon une expression de soi, une interprétation du prescrit, un arrangement pour tenir compte de toutes les conditions de sa réalisation. Jusqu’où je m’identifie à ce qu’il y a à faire ? Suis-je suffisamment reconnu pour cela ? L’environnement (collègues, manager, bureau, contrat...) est-il rassurant, stimulant, préoccupant ? Quelle place accorde-t-on à mon avis ? Nous avons positionné ce 500ème numéro de la revue Cadres autour de l’objet du quotidien qu’est le travail, de l’importance que nous donnons à l’expérience et à son management. C’est toute l’ambiguïté de la valeur donnée : son prix sur un marché ou sa réalité professionnelle, polarités symbolisées par les dés de la couverture de ce numéro... La difficulté à faire vivre le droit d’expression et un management participatif l’illustre car faire remonter des problèmes de qualité, ce n’est pas la même chose que favoriser l’appropriation par le travailleur de ce qu’il ou elle fait. Le travers est de parler d’un travail trop extérieur à la personne professionnelle, de piloter l’activité par la norme rationnelle ou au contraire trop personnelle, de confondre subjectivité et personnalité, autonomie et indépendance.

Cette attention est importante car le risque de jauger la personnalité et non la personne en situation est permanent. Se rabattre sur l’individuel, c’est en effet faire un tri arbitraire, c’est se satisfaire d’un supposé leadership naturel, ou bien se limiter à une politique d’ambiance, de bien-être, ou encore de manager en accusant ou en soignant une vulnérabilité. La situation elle, est collective. Elle engage plusieurs responsabilités. Soigner le travail, c’est prendre soin de la personne en tant que telle, certes, mais surtout en tant que travailleur, et ce au sein d’une organisation.

Ceci étant, le travail se fait dans un cadre d’emploi, et la figure de la subordination est à la fois la clé du problème et son dépassement. Réduire le travail à l’emploi, répondre à une consigne a quelque chose de rassurant : la vie du travailleur ne se résume pas à son quotidien et il lui est possible de se mettre à distance de la scène du travail. Il y joue un rôle à la fois structurant mais délimité. Car son identité professionnelle lui appartient au-delà du poste et des conditions d’emploi. S’il en souffre, émerge l’impératif de mettre de la distance. Managers et militants doivent tenir bon sur le fait que les risques psycho-sociaux ont pour origine professionnelle unique l’organisation.

Le dossier de ce numéro spécial est partagé entre 3 parties (enjeux, identités, action) ; il explore les conditions d’engagement sur le travail, la qualité des débats, la nature de la vocation, le niveau d’intervention sur l’activité, le bruit réglementaire, institutionnel ou psychologisant la tenant à distance. Les représentants des salariés et agents publics l’ont compris, s’ils en ont les moyens, que l’écoute du travail donne de la puissance au dialogue social et les assoie dans leur mandat. Il en est exactement de même pour les managers, là encore à condition d’avoir de la marge et d’être reconnus pour le faire. En ce sens, le souci de la « condition du travail » est un axe de notre engagement quotidien.

[1]-L’intensification est générale, la charge cognitive s’étend pour tous, et beaucoup de métiers demeurent très pénibles.