La compagnie I.B.M. France, qu’on ne présente plus, a, comme bon nombre de géants fatigués, décidé de se recentrer sur ses métiers stratégiques. Et l’édition n’en fait pas partie. Son centre de publications, situé à Orléans, produisait des documents de communication interne et externe, des listings informatiques, les feuilles de paie, la facturation. N’étant pas une activité stratégique, il avait fait l’objet de peu d’investissements et n’offrait pas au reste de l’entreprise des services de la meilleure qualité disponible sur le marché. Il était donc condamné. « Mais le centre se rebiffe » explique Bernard Deman, qui était alors directeur du centre I.B.M. d’Orléans. Lui-même avait déjà réalisé des essaimages et proposa une opération de ce genre. La brochure réalisée par l’entreprise à l’occasion d’un colloque organisé conjointement par Développement et emploi et par Europe et entreprise, raconte l’historique : « Il était une fois un centre de publication qui n’était pas aimé de son entreprise. Le centre ne répond pas efficacement aux clients. Si la communication est stratégique pour l’entreprise, sa mise en oeuvre ne l’est pas. Pas d’embauche, peu ou pas d’investissements. MORT ANNONCÉE DANS CINQ ANS. LE CENTRE SE REBIFFE. Projet d’essaimage stratégique basé sur : adhésion du personnel, stratégie et recherche de marché, recherche de partenaires. STREAM INTERNATIONAL FRANCE ». Et puis c’est la « success story », le chiffre d’affaires passe de soixante millions de francs en 1992 (dernière année I.B.M.) à quatre-vingt en 1993, cent quarante deux en 1994 et deux cent soixante six en 1995, le personnel qui était de quatre-vingts personnes passe à cent deux puis cent quatre-vingts et deux cent dix-sept... Le résultat avant impôt s’envole. Tout cela grâce à des investissements massifs : 16,5 millions de francs en 1993, plus du quart du chiffre d’affaires de l’année précédente. L’opération a été possible, raconte Bernard Deman, grâce à l’adhésion du personnel : on a fait de la communication et l’essaimage s’est fait sur la base du volontariat et de la cooptation. Après avoir envisagé un RES (qui ne permettait pas d’investir) et un partenaire financier (qu’on a pas trouvé), on a fait cause commune avec un industriel « des partenaires complémentaires sur le plan de l’éthique, des valeurs, des partenaires qui aient la même culture ». Très vite, l’entreprise obtient la certification ISO 9000, elle autofinance son développement. En retour, I.B.M. a trouvé flexibilité et adaptabilité, car elle peut moduler ses dépenses de communication sans garder le poids mort du centre inutilisé, rentabilité financière, par la valorisation des actions qu’elle possède, débouchés clientèle car elle vend à Stream des produits et des services, elle reçoit des prestations au prix du marché et, last but not least, elle a une meilleure image que si elle avait purement et simplement fermé le centre. Aujourd’hui, Stream ne dépend plus d’I.B.M. que pour 30 % de son chiffre d’affaires et travaille pour de grands noms prestigieux, de nouveaux centres ont été ouverts en région parisienne, à Grenoble, à Sophia Antipolis, le personnel est motivé par le développement et les perspectives de carrière ainsi que par l’intéressement et la participation...

Si on gratte un peu cette surface lisse, on trouve une réalité plus complexe, moins médiatique mais plus logique économiquement. Il s’agit fondamentalement d’une opération de restructuration industrielle, qui n’est pas très loin de la banale opération filialisation puis vente à un professionnel des services aux entreprises. D’ailleurs, la société a été créée sous le nom de R.R. Donnelley France, même si R.R. Donnelley , le partenaire industriel, (qui a ensuite changé son nom pour Stream International) n’avait alors que trente pour cent du capital. L’option essaimage sur la base du volontariat-cooptation a permis de trier le personnel admis à participer à l’opération : celui qui n’était pas volontaire pour l’aventure est resté I.B.M. (c’était par exemple le cas d’une personne seule avec un enfant qui avait besoin de la sécurité de l’emploi), celui qui voulait venir mais dont la direction ne voulait pas est resté lui aussi (c’était le cas de quelqu’un dont le salaire était nettement supérieur à la qualification). Cinquante-cinq personnes ont ainsi « tenté l’aventure » sur un effectif de quatre-vingts. Mais ce tri s’est fait « dans la clarté et la communication », ce qui explique que personne n’ait eu l’idée saugrenue d’invoquer le L. 122- 12, cette « vision mécanicienne de l’externalisation » suivant l’expression de Bernard Demain. Dans l’opération, on a diminué les salaires, changé de convention collective (de la métallurgie à Syntec) et supprimé l’ancienneté. I.B.M. a donné des indemnités importantes, qui ont été investies en actions de la nouvelle entreprise, avant que celles-ci ne soient, toujours sur la base du volontariat, rachetées par Stream International. Il n’y a pas d’options d’achat d’action (stock options) à Stream International France.

Le partenaire providentiel qui a suffisamment capitalisé pour que l’entreprise puisse investir est un groupe américain de Boston dont la tête de pont européenne est à Londres et qui n’a pas loupé l’occasion de s’implanter en France. Un pacte d’actionnaires lui assure une montée en puissance dans le capital et un contrôle total de l’entreprise dont le conseil d’administration est fort international, comptant actuellement à côté du dirigeant français local, un Britannique résidant aux Etats-Unis, un Irlandais résidant aux Pays-Bas, un autre Irlandais domicilié au Royaume-Uni et un Français résidant en France.

La brochure Stream International conclut « Sans cet essaimage stratégique, la vie eut été bien triste dans notre centre. Il y a dans nos entreprises des collaborateurs qui se morfondent, il y a dans nos entreprises des talents inemployés et des énergies non utilisées ». Si on peut, hélas, lui donner acte de la deuxième phrase on ne saurait non plus nier qu’il y a des investisseurs qui savent reconnaître une possibilité d’implantation... stratégique.