J’écris ces lignes au retour de Bucarest où EUROCADRES vient de réunir ses affiliés de pays d’Europe centrale et orientale et j’ai été frappé par l’importance que nos amis accordent à la construction européenne, même si leurs attentes ne s’expriment pas de la même façon que dans les pays fondateurs de l’Union.

L’Europe a réussi en quelques décennies à garantir la paix, à assurer des progrès économiques et sociaux, à établir la liberté de circulation, à se doter d’une monnaie. Mais il est vrai que la réalité du fonctionnement de l’Union est trop souvent décevante. L’Europe, construction politique et puissance économique, n’est pas capable d’influer avec suffisamment d’efficacité sur l’avenir du monde. Cela est dû pour partie aux choix effectués, au plan national et lors des dernières élections pour le Parlement européen, qui ont renforcé les courants néo-libéraux porteurs de dérégulation et de recul social. Cela est dû également à la faiblesse institutionnelle et au déplorable Traité de Nice (élaboré sous présidence française) qui ne peut que générer la paralysie dans une Europe à 25 et plus. C’est ce que précisément veut corriger la Constitution.

Se recroqueviller dans un quelconque repli nationaliste (quelle qu’en soit la couleur) ne peut apporter aucune solution. Ce serait à la fois dangereux et illusoire. Le défi est bien aujourd’hui de trouver les voies pour renforcer l’Union européenne, la rendre plus efficace : c’étaient déjà les conclusions du dernier congrès d’EUROCADRES, en juin 2001.

Bien sûr, EUROCADRES partage la volonté de voir la Constitution ratifiée comme la très grande majorité du mouvement syndical européen l’a exprimé. Je voudrais souligner trois aspects auxquels les cadres que nous représentons attachent une importance particulière.

Lors des travaux de la Convention qui a préparé cette Constitution, EUROCADRES avait mis au point des propositions (« L’Europe que nous voulons, contribution d’EUROCADRES au débat sur l’avenir de l’Europe » octobre 2002) qui soulignaient la nécessité de se doter d’une architecture d’institutions plus démocratiques et efficaces. L’Union ne doit plus être paralysée par des débats bloqués plusieurs années. Elle doit être capable de prendre rapidement des décisions. C’est ce qu’établit la première partie de la Constitution.

Aucun de nos pays européens n’a la taille suffisante pour influer suffisamment sur les décisions mondiales. Nous ne le pouvons que si nos pays sont capables d’agir ensemble. Il est donc essentiel de renforcer l’Union européenne, dans sa dimension politique, pour peser sur la mondialisation et maîtriser notre avenir et celui de la planète.

EUROCADRES est un partenaire social européen reconnu. Nous représentons les cadres dans le dialogue social européen : processus de consultation par les institutions et participation aux négociations avec les employeurs. La Constitution reconnaît le rôle des partenaires sociaux. C’est la première fois dans un texte de cette importance et cela renforce notre position de manière significative1. De plus, une clause « transversale » oblige à examiner la dimension sociale de toutes les politiques. C’est un instrument dont il faut se saisir.

La Constitution ne résoudra pas, à elle seule, tous les problèmes. Elle a cependant réussi ce qui avait été refusé à Nice : donner à la Charte des droits fondamentaux une portée juridique. Elle est un instrument essentiel pour pouvoir se doter des nécessaires politiques économiques, industrielles, sociales, culturelles, et pour les mettre en œuvre. Naturellement, le texte actuel est le résultat de compromis, ses insuffisances sont nombreuses ; mais il ne comporte, par rapport à la situation actuelle établie par le traité de Nice, que des progrès et aucun recul.

Oui le risque persiste de voir l’Europe se limiter à être un grand marché, et à demeurer un nain politique. Cela ne pourrait aboutir qu’à la régression sociale. Mais la tradition républicaine doit conduire, je crois, les Français plus que d’autres, à discerner dans le choix du terme même de « constitution » un signal essentiel : une nouvelle réalité politique est appelée à naître. Beaucoup reste à faire, mais c’est une étape décisive.

1 : Nos amis Emilio Gabaglio et Roger Briesch, qui ont participé pour le mouvement syndical européen aux travaux de la Convention, ont grandement contribué à cette avancée.