Dans ces « Chroniques d’un témoin engagé », Serge Vallemont retrace les quarante-quatre années de son parcours professionnel au sein des services du ministère des Travaux publics puis de l’Équipement. Entré en 1951 au service maritime de Rouen comme dessinateur auxiliaire pour mieux se préparer au concours d’ingénieur des Travaux publics de l’État, il intègre en 1954 la première promotion de l’école d’application des ingénieurs des Travaux publics de l’État, avant d’être affecté au service ordinaire des Ponts et chaussées de l’Aisne, comme subdivisionnaire, chef de bureau d’études à Soissons et enfin directeur du laboratoire régional et du parc des Ponts et Chaussées à Saint-Quentin.

En 1965, il rejoint la région parisienne à Villeneuve-Saint-Georges et participe à la mise en place de de la DDE de l’Essonne. Il y deviendra secrétaire départemental du syndicat des ingénieurs TPE. Cette DDE se trouvait au carrefour de deux réformes importantes : la fusion de l’administration des Ponts et Chausées avec les services de la Construction au sein du ministère de l’Équipement (1966) et la création des DDE (1967), la mise en place des nouveaux départements de la région parisienne. Deux bonnes raisons de faire du neuf ! Il y conduisit notamment une expérimentation de subdivision territoriale polyvalente, avec la déconcentration de l’instruction des permis de construire. Une action prémonitoire pour celui qui deviendra le chantre de la déconcentration de l’action publique et de la gestion des personnels pendant les années 1980.

Dans le même temps il devient secrétaire général du syndicat national des ingénieurs TPE (SNITPEFO) de 1968 à 1974, il y défend les subdivisions polyvalentes, la déconcentration mais aussi les modalités indemnitaires particulières : les honoraires, dont il conduira plus tard une réforme d’ampleur.

Promu ingénieur des Ponts et chaussées en 1975, il est nommé à la DDE de Seine-et-Marne comme responsable de l’urbanisme et de la construction. Il rejoint la direction du personnel en administration centrale en 1978 comme chef de la mission de la vie des services, taillée sur mesure pour impulser une modernisation en profondeur des services. Jusqu’en 1993, successivement directeur adjoint puis directeur du personnel (avec un intermède en cabinet de 1984 à 1985), il incarnera la modernisation du ministère, et plus largement celle de l’administration. Il faut bien avouer que la contrainte externe était réelle, notamment avec la décentralisation (1982) et que le ministère devait se repositionner fortement sur de nouvelles missions dans un contexte institutionnel nouveau, où l’expertise technique ne pouvait se développer que dans le cadre de politiques partenariales avec les élus locaux. Une révolution culturelle pour beaucoup ; pour Serge Vallemont, c’est la poursuite de l’action du subdivisionnaire de Neuilly-Saint-Front (Aisne) et surtout la mise en œuvre de convictions solidement établies…

Au-delà d’un itinéraire personnel, ce récit est aussi un bon essai de sociologie administrative, voire d’ethnologie tribale : quelle persistance des signes du pouvoir, telle sa découverte des portes « capitonnées » dès 1951, enjeux de bien des manœuvres encore trente ans plus tard au 2e étage du 244, boulevard Saint-Germain ! Mais aussi, l’usage du « tu » amical, convivial, mais oh combien corporatiste, à la fois incluant et reconnaissant ceux du corps ou de la filière et excluant ceux qui n’en sont pas !

Enfin c’est un témoignage exemplaire de ce que peut être la modernisation des services publics. Elle ne se fait ni par décrets, ni par circulaires (la circulaire Bideau-Foch de 1966 !), mais prend le temps du diagnostic, de l’expérimentation, prend en compte l’histoire profonde de l’organisation. Cette modernisation est diversifiée et non uniforme ; elle se joue à 10 ou 15 ans et non immédiatement. Elle se fait surtout avec les agents du service public et non contre eux, accordant une grande place au dialogue social, même dans des périodes conflictuelles (voir par exemple la grève des agents d’exploitation juste avant les Jeux olympiques de Savoie en 1992). S’appuyant sur un développement de la formation professionnelle pour tous, elle permet aux agents qui le souhaitent de développer un parcours professionnel riche et varié, avec de vraies possibilités de promotion.