A l’occasion de son 15ème anniversaire, l’Observatoire des Cadres (OdC), association créée par l’union confédérale des ingénieurs et cadres CFDT, avait tenu colloque le 29 mai 2012 à la Bourse du Travail de Paris. Le livre A quoi servent les cadres ? prolonge et approfondit la réflexion de ce jour anniversaire.

Il donne à voir au plus grand nombre (espérons-le) des analyses « CFDT », largement partagées depuis 2000 - et même avant, sur cette population de salariés qui apparaît souvent bien mystérieuse.

Il capitalise bon nombre d’études satisfaisant des critères de rigueur scientifique et ne relevant pas seulement de commandes syndicales, initiées pour beaucoup dans le cadre du GDR Cadres (CNRS), mais aussi à la CFDT Cadres ou lors de séminaires de l’OdC...

Cette belle continuité d’analyse, mais aussi d’action syndicale de la CFDT Cadres - et avant de l’UCC-CFDT, analyse se creusant d’avantage d’année en année, peut s’organiser autour de trois questions permettant d’approcher, chacune à sa façon, le groupe Cadres, les salariés cadres, l’identité des cadres au travail… et au-delà du travail.

Qui sont les cadres ? Question structurante du rapport général du congrès CFDT Cadres d’Amiens en 2001, tentative renouvelée d’approcher au mieux le groupe Cadres, comme Eurocadres l’avait fait quelques années plus tôt au sein de la Confédération européenne des syndicats… Pour identifier notre 11ème congrès, nous avions alors proposé l’intitulé « Cadres salariés, solidaires et différents, pour maîtriser l’avenir ».

Cadres salariés, les cadres se reconnaissent plus proches de l’ensemble des salariés que des directions générales. L’éloignement des pouvoirs de décision, la mise en œuvre des concentrations et des restructurations d’entreprises sans réelle information préalable, la mise en œuvre de systèmes de rémunération privilégiant les cadres dirigeants peuvent être parmi les causes de ce détachement des directions générales. Mais cela ne veut pas dire divorce des cadres salariés d’avec l’entreprise ou l’administration.

Mais dans le même temps, les cadres se disent et se vivent progressivement comme des salariés à part entière ; ils souhaitent bénéficier de garanties collectives et de garanties individuelles pour leur vie professionnelle. Ils ne sont pas des salariés « à part ».

Que font les cadres ? La CFDT Cadres n’a jamais défini les cadres par une position hiérarchique au sein des entreprises ou des administrations, encore moins par un statut Cadres qui a fait les beaux jours d’un syndicalisme catégoriel - syndicalisme catégoriel aujourd’hui en perte de vitesse avérée !

La CFDT Cadres s’est toujours intéressée au travail des cadres, à ce qu’ils font et comment ils le font… Et pour cela, la réflexion et l’action syndicale s’appuient sur des enquêtes lourdes, menées par les équipes syndicales, préparées et exploitées avec des chercheurs et universitaires : TEQ Cadres en 2002, Cadres des-fonctions publiques - la parole aux A en 2010, Le travail et les temps en 2010 et 2011… Ce travail militant auprès des salariés, confronté avec celui des chercheurs, est l’occasion de mobiliser largement des cadres et d’approcher réellement leurs conditions de travail.

A quoi servent les cadres ? Intitulé de ce livre, cette troisième question permet de réfléchir aux modalités du management des organisations de travail, entreprises ou administrations étant traversées des mêmes modes et des mêmes travers quels qu’en soient les vocables, les cadres reconnus « autonomes et responsables » étant bien souvent ignorés et sous « monitoring » permanent ! Les logiques de compétition internes et externes, de recherche de profit ou d’économies, faisant fi de ce qui est source de compétitivité : la responsabilité réelle des acteurs, la coopération entre les acteurs, l’engagement des uns et des autres. Dans sa brièveté, l’intitulé du 14ème congrès de la CFDT Cadres, à Arras en juin 2013, « Coopérations, engagements », le dit mieux que tout discours.

L’observation de leur travail montre des cadres polyactifs - leur polyactivité étant différente de la polyvalence demandée aux autres salariés, au centre des organisations, des demandes et des injonctions, souvent contradictoires (ex. : qualité-délai, qualité-coût…) en quelque sorte « au centre du jeu », avec souvent une organisation des contraintes laissant peu de place au « jeu mécanique des pièces en mouvement » au risque de gripper alors la machine, peu de place au « je » alors même que l’investissement subjectif est aussi la marque du travail des cadres.

Comme le dit un des sous-titres du texte, un cadre « jamais seul et tous ensemble », dont la mission managériale évolue de la coordination à la collaboration, de la collaboration à la coopération… mais encore faut-il pouvoir en parler, avoir le droit d’en parler, sans pour autant apparaître comme un maillon faible, un cadre en difficulté. Nécessité aussi de règles du jeu claires et partagées, de moments repérés pour en discuter, afin de reconnaître une des responsabilités d’un cadre - si ce n’est la première, celle de « donner un cadre » d’action au travail de ses collaborateurs… à condition bien sûr d’avoir lui-même un tel « cadre » d’action ! Dans bon nombre d’organisations de travail, rien n’est moins sûr !

Pour « sortir du cadre » les auteurs posent trois questions au management : 1. Mesure et évaluation, ou comment articuler entretien individuel et action collective ; 2. Apprentissage du management, ou comment apprendre à manager… Saluons là les initiatives de la CFDT Cadres, relançant le Crefac, pour proposer aux cadres adhérents CFDT des formations ouvertes, critiques et participatives permettant à chacun de questionner ses propres pratiques professionnelles… ; 3. Parcours professionnels, ou comment assurer, tout au long de son parcours, de 42 années, 44 années et voire plus de vie professionnelle, mobilité, employabilité, transitions…

En conclusion, les auteurs reviennent, pour mieux les mettre en exergue, sur trois mots que les cadres mettent toujours en avant - même s’ils n’en n’ont pas l’exclusivité : expertise, autonomie, responsabilité. Ces trois notions étant intimement liées - en quelque sorte consubstantielles - aux fonctions des cadres : l’expertise permettant l’autonomie, la responsabilité étant la contrepartie de l’autonomie, la responsabilité rendue possible par l’expertise…

Soulignons que ces trois questions au management, ces trois mots « expertise, autonomie, responsabilité » ont toujours été présents dans les analyses de l’UCC-CFDT puis de la CFDT Cadres, la lecture attentive des textes d’orientation des congrès d’Amiens (2001), de Nantes (2005), de Nîmes (2009) et d’Arras (2013) le montre à l’envie.

Belle continuité d’action, de pensée et de réflexion que traduit notamment la formule Salariés à part entière, formule qui fait florès maintenant, au-delà de la CFDT Cadres - mais qui avait été lancée dans la discrétion par Marie-Odile Paulet, alors secrétaire générale de l’UCC, à la fin du siècle dernier.

Une réussite aussi, au sein même de la CFDT et de ses organisations, à la lumière de discussions plus anciennes et plus difficiles avec la confédération ou le Bureau national confédéral, que traduit la postface de ce livre par François Chérèque, ancien secrétaire général de la CFDT, ou encore l’interview de Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, dans la revue Cadres de décembre 2012, et qui était déjà très perceptible lors des 40 ans de la CFDT Cadres avec le numéro exceptionnel de la revue Cadres que nous avions publié en septembre 2008.

Alors que l’Observatoire des Cadres va allègrement vers l’âge de sa majorité - autant dire celle de sa maturité, comme un excellent Single malt de 18 ans d’âge - merci à lui de nous donner à voir la réalité du monde des cadres au travail, de nous interroger sur notre place de cadre, sur nos forces et faiblesses managériales dans le monde du travail, des entreprises et des administrations. Merci à ceux qui l’animent, et surtout à Bernard Jarry-Lacombe, à qui l’OdC doit tant depuis quatre ans, aux coordinateurs de ce livre, à Bernard Masingue - ami discret et fidèle depuis 1987, qui vient d’en quitter la présidence et à Soraya Duboc, cadre de l’agroalimentaire et membre du Bureau national de la CFDT Cadres qui va maintenant en assurer la présidence.

L’OdC a dans le monde syndical et la galaxie des cadres une place unique, permettant - comme je l’écrivais en 2004 en préfaçant Les Cadres au travail – Les nouvelles règles du jeu, livre rendant compte de la démarche TEQ Cadres 2002 : « Nous avons organisé une démarche commune, dans une dualité réciproque « au risque des chercheurs - au risque de la CFDT, « poursuivant un objectif commun, celui de renouveler l’analyse du monde des cadres et, ce faisant, de permettre une réflexion sur l’action revendicative de la CFDT pour les cadres. »

Ce livre montre toute la pertinence de cette démarche ancienne au sein de la CFDT, toute l’actualité pour les années qui viennent.

Bonne lecture à tous, aux adhérents cadres de la CFDT bien sûr, aux adhérents et aux responsables de la CFDT, mais aussi, souhaitons le très fort, aux dirigeants d’entreprise et aux DRH. Cela pourrait - peut-être - changer la donne au sein des entreprises et des administrations, en tous les cas être source de coopérations et d’engagements renouvelés !