Bien qu’elle varie selon les champs professionnels, cette faible identification s’explique en partie par le fait que la catégorie « cadre » n’existe pas en tant que telle dans la fonction publique. Il n’y a d’ailleurs pas de « collège cadres » aux élections professionnelles des instances collectives (comités sociaux). Parmi les trois catégories, les agents de catégorie A sont, bien entendu, considérés comme cadres mais il arrive assez souvent que des agents de catégorie B, voire de catégorie C, encadrent un service ou d’autres agents. Sur le papier, à chaque catégorie correspond un type de compétences bien précis. Mais l’appartenance à une catégorie, un corps ou un grade ne dit pas grand-chose en situation de travail – ou, en tout cas, pas tout – de la réalité du métier exercé. D’où la difficulté de construire un discours syndical spécifique aux cadres. L’absence de fierté ou de perception d’avantages particuliers est à rapprocher de l’image dévalorisée que les agents publics ont d’eux-mêmes, renforcée pour les cadres par le manque de valorisation des parcours professionnels, de reconnaissance de la valeur des missions et des compétences. Valoriser les parcours, reconnaître les compétences – quels que soient les grades ou les statuts – sont des axes de revendications forts de la CFDT Fonctions publiques[1].

Les attentes en matière de rémunération et de carrière sont fortes. Gel du point d’indice ; protocole des parcours, carrières et rémunérations (PPCR[2]) vitrifié : le constat comme les perspectives ne sont pas réjouissants. Les cadres le ressentent peut-être encore plus fortement en comparaison de leurs homologues du privé, et même au sein de la fonction publique : les écarts de carrière – selon qu’on appartient à l’une ou l’autre catégorie, à l’un ou l’autre grade – sont parfois impressionnants, et surtout injustes. La CFDT Fonctions publiques porte des revendications en matière de revalorisation des rémunérations bien sûr, mais aussi d’harmonisation des régimes indemnitaires et de déroulement de carrière.

Des cadres plus autonomes que dans le privé ? Parfois oui ! Et ils aiment ça

L’enquête, c’est plutôt surprenant, indique que les cadres se déclarent plutôt satisfaits des conditions d’exercice de leur travail. Ils apprécient une certaine forme de liberté et finalement d’autonomie, dont ils disent bénéficier – en particulier les cadres issus du secteur privé, et essentiellement chez ceux de l’administration centrale. Cette satisfaction confirme en tout cas l’importance de la confiance et de l’autonomie dans la qualité de vie au travail, et dans la satisfaction du travail lui-même. La CFDT, porteuse des valeurs d’émancipation des travailleurs, revendique régulièrement l’instauration d’un management de la confiance plutôt que du contrôle, et l’instauration de marges de manœuvre suffisantes pour que les cadres puissent exercer de façon autonome. C’est ce que la CFDT a porté dans la négociation de l’accord-cadre sur le télétravail dans la fonction publique signé le 13 juillet 2021.

Moderniser le service public : les cadres disent oui… mais à condition de ne pas en perdre le sens

Si les agents ont si soif de reconnaissance et s’ils souffrent autant de la dévalorisation de leur image, c’est qu’ils ont à cœur de bien faire leur métier et qu’ils sont soucieux du service public. Notre ouvrage L’Autre trésor public[3] montre, à travers 30 récits, un portrait bien éloigné de l’image galvaudée de la fonction publique.

Lorsqu’ils s’expriment sur la modernisation et la dématérialisation des services, les cadres se désolent, par exemple, de ne pouvoir fournir de solution à la détresse d’une partie des usagers confrontés à des outils qu’ils ne peuvent utiliser pour faire valoir leurs droits. Ne pas pouvoir apporter le même service à tous les usagers ou faire correctement son travail, affecte le sens de celui-ci et ce conflit éthique est une source de souffrance. Les restructurations, fusions, réorganisations incessantes impactent aussi – et peut-être même surtout – les cadres chargés de mettre en œuvre des actions auxquelles ils n’ont pas été associés en amont et dont le sens leur échappe souvent.

Rendre les travailleurs acteurs de leur travail, les associer le plus en amont possible du changement, qu’il soit technologique ou organisationnel, est une revendication portée par la CFDT. Le premier plan « santé au travail » dans la fonction publique – qui est discuté en ce moment et devrait voir le jour en 2022 – comporte, grâce à la CFDT, un axe sur la conduite du changement avec une attention particulière portée aux cadres intermédiaires, souvent en première ligne dans sa mise en œuvre. La demande de sens de l’action publique ; la conscience d’être à un carrefour entre modernisation et disparition ; l’incertitude sur l’avenir, pas seulement son avenir personnel mais aussi l’avenir de la fonction publique et du service public en général : tous ces sujets taraudent les cadres interrogés.

[1]- http://uffa.cfdt.fr

[2]- www.fonction-publique.gouv.fr/ppcr-parcours-professionnels-carrieres-et-remunerations

[3]- CFDT Fonctions publiques, L’Autre trésor public – Paroles d’agents sur leur travail, L’Atelier, 2018.