La situation traditionnelle du commerce dans le monde n'est pas un système assurant l'égalité des nations ni le respect des droits des travailleurs : la domination du dollar dans le système monétaire et sa sous-évaluation, qui dope à la demande les productions US, constitue l'exemple le plus flagrant de ces inégalités structurelles. Mais le système qui se met en place, la mondialisation du commerce, est source d'autres inégalités.

Les bases techniques sur lesquelles doivent reposer la mondialisation des échanges existent déjà : liberté des capitaux, baisse du coût des transports. Dans cette nouvelle forme de concurrence le coût de la main-d'œuvre et sa qualité sont devenus les seuls critères discriminants des productions manufacturées. D'où l'inégalité entre les pays développés et ceux qui le sont moins, avec l'éternelle fuite en avant des délocalisations, puisqu'on voit des pays comme la Corée du Sud, hier à main-d'œuvre bon marché, délocaliser maintenant vers d'autres pays du Sud-Est asiatique.

Les auteurs montrent que dans les pays développés le nouveau système entraîne un écart croissant entre les revenus des ouvriers qualifiés et des ouvriers non qualifiés : en effet, même s'il y a résistance à la baisse des plus bas salaires, l'offre d'emploi de cette catégorie diminue, donc celle-ci est de plus en plus dévaluée, tandis que les emplois qualifiés suivent le dynamisme de l'économie globale.

On observe aussi une extrême sensibilité des salaires à la concurrence des pays de niveau de développement proche. Avec les pays de niveaux différents le problème est structurel, c'est-à-dire que la question posée est celle du maintien ou de la suppression de l'activité. Par contre, entre des pays de niveau de développement comparable, une faible différence de coût de revenu d'une production suffit à faire basculer la balance des échanges commerciaux, phénomène d'autant plus important que les volumes sont élevés. Ainsi les « glissements » monétaires de la Grande-Bretagne ou de l'Italie en 1992 ont déclenché des basculements de marchés rapides.

Les auteurs proposent d'analyser les effets des changements structurels du commerce international sur l'emploi dans les années récentes en faisant la balance des emplois créés par les exportations et des emplois « détruits » ou « non créés » du fait des importations de produits manufacturés de la France entre 1988 et 1995.

Cette analyse montre une très forte augmentation du volume des échanges et un solde global en emploi positif. D'après les auteurs le développement du commerce mondial bénéficie sans conteste à la France.

Mais cette évolution globale recouvre des variations très grandes selon les pays. Plusieurs modèles coexistent.

L'économie française a largement gagné au développement de l'Europe à douze : 60 % du solde positif de l'emploi est dû au commerce dans l'Union, dont une part majeure avec l'Allemagne.

Le solde des emplois est toujours positif avec les pays encore dans la sphère traditionnelle du commerce comme le Maghreb et l'Amérique du Sud. Cette situation évolue très vite car certains (Tunisie, Brésil, ...) sont en cours d'industrialisation.

Avec les pays à haute technologie (Etats-Unis, Japon) notre balance d'emploi est déficitaire car nous importons des produits de très grande valeur ajoutée et la situation ne saurait s'améliorer car nos investissements pour l'innovation dans ces produits ont été trop faibles.

Le modèle des pays nouvellement industrialisés qui comprend certains pays du Sud-Est asiatique est très positif pour notre balance d'emploi : leur consommation de produits manufacturés s'est accrue plus vite que prévu et nous est favorable.

Mais ce progrès est presque entièrement contrebalancé par le cinquième modèle : notre déficit grandissant avec l'Inde, le Pakistan et notre déficit « explosant » avec la Chine. Nos importations provenant de ce dernier pays se développent de façon géométrique et portent sur des volumes considérables. Dans le même temps le gouvernement chinois ne permet que l'entrée de produits indispensables.

D'après les auteurs l'avenir sera grandement dépendant de leur politique. Si dans les pays du modèle chinois l'objectif reste « la satisfaction minima des besoins d'une population à faible niveau de vie » notre déficit ne peut que grandir. Par contre si l'on assiste au développement de classes aisées ils rechercheront l'importation de produits de pays comme la France et les conséquences ne seront pas les mêmes.

Pour C. Vimont et F. Farhi, chaque modèle suscite des préoccupations différentes. L'avenir des pays nouvellement industrialisés peut prendre plusieurs chemins : s'ils captent notre avance technologique et nous renvoient des produits de plus en plus sophistiqués nous risquons d'être rapidement en mauvaise posture. De même en Europe, dans le système à monnaie unique, le garde-fou des rééquilibrages monétaires n'existera plus : le développement de nos échanges ne doit donc pas faire oublier la nécessité de la recherche pour maintenir un avantage industriel qualitatif seul capable de tirer nos échanges vers le haut.

On l'a compris, bien que très « universitaire » ce livre est passionnant. Il laisse de côté certains aspects mais, le champ étant défini, il permet une vision claire et concrète des évolutions en cours.