En période de crise économique, la protection sociale est au centre des débats politiques et au cœur des préoccupations des personnes. Une des questions fondamentales qui se pose dans ce contexte se formule comme suit : la Sécurité sociale est-elle favorable au développement économique ? La réponse dépend de la conception politique et économique à laquelle on se réfère. Pour le néolibéral, la réponse est « non », pour le partisan de l’économie sociale de marché, la réponse est « oui ».

La Sécurité sociale est, du point de vue économique un facteur de coûts, facteurs de dépenses mais aussi un revenu pour les bénéficiaires, revenu qui devient dépense ; et nous connaissons également le droit à la Sécurité sociale au niveau national et international.

Or, le droit à la Sécurité sociale, au niveau international, vient d’être traité, d’une manière magistrale, par Pierre-Yves Greber, professeur à la faculté de droit de l’université de Genève, dans son dernier livre.

Après avoir analysé des éléments autour du concept de la Sécurité sociale, les droits nationaux, sources principales de la Sécurité sociale, et notamment les textes constitutifs ou de compétences, de principes, il traite, du point de vue du droit international et européen, dans le cadre de la convergence et harmonisation, les instruments normatifs et ensuite les instruments de coordination en faveur des migrants et des personnes qui se déplacent. D’emblée il y a lieu de préciser que, conformément au titre et à l’intention du livre, le droit de l’Union européenne en la matière n’est qu’abordé « en marge » ; eu égard à l’endroit ou le Professeur Greber enseigne – Genève -, la position de la Suisse, par rapport aux questions fondamentales traitées, est également brièvement mentionnée.

L’auteur met tout d’abord en évidence la « tendance à l’augmentation des besoins » de la protection sociale et analyse ensuite le domaine des droits nationaux pour aborder la problématique d’un modèle européen et en particulier celui qui peut être construit sur la base des instruments du Conseil de l’Europe.

Un examen approfondi des missions pour la Sécurité sociale contemporaine montre les questions fondamentales auxquelles la Sécurité sociale est actuellement confrontée. Pour le professeur Greber, « dans les pays économiquement développés, les systèmes de Sécurité sociale devraient à la fois garantir le maintien du niveau de vie, lorsqu’une éventualité se réalise, pour les travailleuses et travailleurs, et prévoir une protection de base pour l’ensemble de la population ».

Il y a lieu de constater que la Sécurité sociale est d’abord l’affaire des Etats mais pour de nombreuses raisons il faut « adopter des règles en matière de Sécurité sociale au-delà du cadre étatique », et on touche au droit international et européen de la Sécurité sociale.

Après avoir explicité la notion d’harmonisation qui doit être distinguée de celle d’unification de droit et de coordination qui relie les systèmes, l’auteur analyse les textes constitutifs ou de compétence, à savoir : la Charte des Nations Unies, la Constitution de l’Organisation internationale du Travail, le Statut du Conseil de l’Europe et, en marge, les Traités de l’Union européenne. Ces textes constitutifs sont complétés par les textes de principes qui contiennent la reconnaissance du droit à la Sécurité sociale, l’aspect fondamental pour l’être humain.

Le rapprochement des politiques et des systèmes de Sécurité sociale dans le cadre de la convergence et de l’harmonisation et la protection des migrants et des personnes qui se déplacent dans le cadre de la coordination prennent une place importante dans le livre.

Pour ce qui est de la convergence et de l’harmonisation, l’auteur analyse les travaux fondamentaux de l’Organisation internationale du Travail, et, au niveau européen, du Conseil de l’Europe. Compte tenu de la discussion en France autour de la dépendance, il faudrait mentionner la recommandation n° (98) 9 du Comité des Ministres aux Etats membres relative à la dépendance. Bien que cette recommandation existe déjà depuis une quinzaine d’années, elle reste toujours d’une importance fondamentale et elle devrait être parfaitement connue des responsables politiques qui s’occupent de ces questions dans le cadre de la préparation de la cinquième branche de Sécurité sociale en France.

En marge, l’auteur aborde la convergence et l’harmonisation dans le cadre de l’Union européenne. Quant à l’harmonisation (au sens de rapprochement des systèmes de Sécurité sociale), l’Union n’a pas prévu de dispositions qui concernent l’ensemble de la Sécurité sociale, mais apporte une série d’éléments utiles, notamment pour ce qui est de l’égalité entre femmes et hommes dans le domaine de la Sécurité sociale.

La fin du livre est consacrée aux instruments de coordination des systèmes de sécurité sociale, fondée sur les principes directeurs suivants : l’égalité de traitement, le maintien des droits en cours d’acquisition, le maintien des droits acquis, la désignation du droit applicable et la coopération administrative, ainsi que l’exportation des prestations en espèce et l’entraide administrative pour les prestations en nature.

Au niveau mondial, l’Organisation internationale du Travail a adopté des conventions d’une importance capitale. Au niveau régional, le Conseil de l’Europe dispose des accords intérimaires européens concernant les régimes de Sécurité sociale relatifs à la vieillesse, à l’invalidité et aux survivants et l’accord intérimaire européen concernant la sécurité sociale à l’exclusion de ces régimes (1953) qui devraient être remplacés par la Convention européenne de Sécurité sociale et de son Accord complémentaire (1972) qui portent également sur l’ensemble de la Sécurité sociale.

Les divers instruments du droit international et européen de la Sécurité sociale, et notamment la convention, n’accordent qu’une protection aux bénéficiaires mentionnés à condition qu’elle ait été ratifiée. En tout état de cause, tous ces instruments constituent de grandes lignes incontournables pour les politiques à suivre par les Etats et doivent être gardés à l’esprit par tous les responsables politiques et notamment par les partenaires sociaux dans le cadre de leurs différentes négociations. L’aspect juridique est cependant différent pour les divers instruments de l’Union européenne : le règlement est directement applicable et obligatoire dans tous les éléments (d’où son importance capitale au niveau européen). La directive est obligatoire quant au résultat à atteindre et directement applicable sous certaines conditions ; la décision est directement applicable et obligatoire dans tous ses éléments ; la recommandation et l’avis ne lient pas. Une nouvelle édition pourrait utilement inclure le droit de l’Union européenne et également être enrichie par un ajout relatif au contrôle des différents instruments, lorsqu’un tel contrôle est prévu.

A la lecture de ce livre, le lecteur se rend aisément compte de la relation étroite entre situation socioéconomique et Sécurité sociale, et de l’importance de cette dernière pour la personne se trouvant en face de certains risques sociaux. Certes, la maîtrise des coûts de la Sécurité sociale fait souvent objet de nombreuses publications, notamment dans des situations économiques difficiles, et la question de savoir si cette maitrise ne pourrait pas être réglée dans le cadre d’un instrument international se pose si souvent. La plupart des instruments dans le domaine de la Sécurité sociale sont liés à des dépenses, aussi bien dans l’application de la coordination que dans le respect des instruments normatifs dans le cadre de convergence ou d’harmonisation. L’élaboration, au niveau européen (Union européenne ou Conseil de l’Europe) d’un instrument d’orientation, ou si possible contraignant, visant à maîtriser et à rationaliser les dépenses de Sécurité sociale s’avère indispensable et me paraît justifiée de plusieurs points de vue. Ainsi, on pourrait éviter l’explosion de la bombe à retardement des dépenses. Pour être efficace, une telle élaboration devrait se faire avec la collaboration d’experts gouvernementaux, d’experts d’organisations internationales d’employeurs et de travailleurs, et un expert du BIT, conformément à la vocation de l’OIT.

La lecture du livre du professeur Greber s’impose aux étudiants (qui bénéficient notamment d’une approche pédagogique extraordinaire acquise pendant toute une vie d’enseignant universitaire), aux spécialistes souhaitant mettre leur connaissance à jour et en particulier aux lecteurs de la revue Cadres qui peuvent s’intéresser à ce genre de questions et pourraient en tirer un très grand bénéfice.