L’heure de la diversité serait-elle venue ? Un an après les émeutes urbaines de novembre 2005, la signature cet automne d’un accord national interprofessionnel doit être saluée. Nous vivons aujourd’hui un moment exceptionnel, qui confère à l’ensemble des acteurs une responsabilité historique.

Ce moment représente d’abord la fin d’un cycle. En 1983 avait lieu la marche des Beurs, un mouvement dont le sens profond était une demande d’intégration. C’était quelque chose de fort. Malheureusement, la réponse politique qui lui fut donnée fut l’antiracisme, qui nous fit perdre vingt ans. Là où les Beurs parlaient intégration, la gauche se mit à parler racisme, usant d’une rhétorique de la dénonciation et de la stigmatisation. On ne parla plus des Beurs, mais des racistes. Ce tour de passe-passe réduisit le débat à un affrontement politique dont on sait aujourd’hui qu’il contribua grandement à la montée en puissance du Front national. Ce fut aussi une déception pour ceux qui avaient tenté de se faire entendre et qui voyaient leur cause détournée de son objet.

Car enfin, c’est très bien de dénoncer le racisme, mais la question n’était-elle pas d’abord de construire l’intégration ? Entendons-nous bien : il ne s’agit pas ici de nier l’existence des discriminations, mais de s’interroger sur les formes du débat public. Le fait est que pendant près de vingt ans, on a usé d’un langage politique contre-productif pour traiter une question toujours plus brûlante. La dénonciation du racisme avait comme miroir celle de l’insécurité. Les uns dénonçaient les autres et les autres dénonçaient les uns. On avançait !

Il aura fallu vingt ans pour sortir de ce western. Vingt ans, c’est-à-dire une génération et pas mal de ressentiment. Mais qu’on ne s’y trompe pas : le désir d’intégration est toujours là. Il est sans doute un peu moins vif, il n’est pas toujours lisible, et il ne correspond probablement pas à ce que fut l’intégration sous la Troisième République, une assimilation sans conditions et sans mémoire, car nous sommes à l’âge des identités plurielles. Plus complexe, parfois teinté de désespoir, le désir d’intégration reste pourtant bien vivant. Et c’est une chance historique d’avoir enfin retrouvé un vocabulaire social et politique qui puisse lui faire une place.

Ce vocabulaire tient en deux mots : entreprise, diversité. Entreprise, parce que le monde du travail est aujourd’hui le lieu d’action par excellence. Sans intégration économique, pas d’intégration sociale. Un petit livre du sociologue Hugues Lagrange (Demandes de sécurité, Seuil/La République des idées) le montre avec limpidité : la délinquance des « quartiers » n’a jamais autant progressé que dans les périodes de prospérité, quand les portes des entreprises s’ouvraient pour les petits blancs des bons quartiers mais pas pour les autres. Diversité, parce que la question aujourd’hui n’est pas tant de dénoncer à grands cris la fermeture des portes que de travailler, méthodiquement, à les ouvrir. Et à veiller ensuite à ce que les choses se passent bien en interne.

L’intégration passe par le monde du travail, tout comme les discriminations se concentrent et s’aggravent en son sein. Mais précisément, en observant de près les mécanismes qui produisent l’éviction et la relégation, on s’aperçoit que si la discrimination est une réalité, elle résulte beaucoup plus d’une chaîne de microdécisions et d’anticipations que d’une volonté délibérée. Le rôle des cabinets de recrutement par exemple est décisif, alors même qu’ils sont extérieurs à l’entreprise. En localisant précisément les points de blocage, en travaillant sur les procédures et les politiques RH, on peut faire évoluer les pratiques.

En outre, l’entreprise a sur la ville et la société en général l’avantage d’être régie par des normes, des procédures, une volonté managériale qui en font un espace beaucoup plus structuré – un espace sur lequel on peut agir.

Enfin, elle est sensible aux arguments économiques en faveur de la diversité : éviter le clonage, oxygéner les équipes et les rendre plus réactives, s’adapter à la diversité des clients, trouver et valoriser des compétences dans des marchés du travail sous tension sont autant de problématiques auxquelles la diversité offre des réponses.

Car ce serait une erreur majeure de considérer la promotion de la diversité comme un acte de charité : c’est l’intérêt bien entendu des entreprises et de la société tout entière qui est ici en jeu. Mais c’est un intérêt qui n’a encore rien d’évident. Il demande à être formulé, à être instruit dans la discussion, à être construit dans la négociation.

Le travail ne fait que commencer. Le syndicalisme CFDT en sera, n’en doutons pas, l’un des acteurs majeurs, non seulement parce que la promotion de la diversité correspond à nos valeurs et que nous n’avons pas attendu l’accord de 2006 pour travailler sur ce sujet, mais aussi parce qu’elle répond à nos méthodes. Sans renoncer à frapper sur la table lorsque c’est nécessaire, c’est en prenant en compte la complexité des organisations de travail et des chaînes de décision que nous inventerons la diversité. Comme le dit Alain Blanchard, les patrons ne bougeront pas si on passe notre temps à les culpabiliser. Ils ont commencé à bouger ? A nous de les faire avancer.