Rendant compte des résultats d’une enquête réalisée auprès de 1500 personnes par des étudiants et des enseignants de l’université Bordeaux 2 entre 2003 et 2005, ce livre fait parler les salariés de leur sentiment d’injustice dans le travail, très souvent intimement lié à un problème de reconnaissance dans le travail. En 500 pages très vivantes, faisant la part belle à la parole des salariés, François Dubet met en valeur une grille d’analyse simple et efficace, autour de trois principes de justice, centraux et souvent contradictoires : l’autonomie, l’égalité et le mérite. Il montre également comment ces principes peuvent se combiner deux à deux pour produire des constructions opératoires : entre égalité et mérite, les conventions ; entre mérite et autonomie, le pouvoir ; entre égalité et autonomie, la reconnaissance.

Après avoir développé chacun de ces principes, le chapitre 7, Organisations du travail et principes de justice, retiendra toute l’attention, chaque modèle d’organisation s’organisant autour de deux principes de justice et rejetant ou méconnaissant le troisième. Ainsi le taylorisme s’appuie sur le mérite et l’égalité en excluant l’autonomie ; l’individualisation va promouvoir l’autonomie et le mérite, en développant la responsabilité des salariés, mais de ce fait va exclure l’égalité ; les bureaucraties professionnelles s’appuyant sur l’égalité et l’autonomie, en minimisant le mérite. Dans les trois situations, le sentiment d’injustice prendra corps autour du principe manquant ou minimisé. Ainsi au sein des fonctions publiques, bureaucraties professionnelles types, le sentiment d’injustice naîtra de la non prise en compte du mérite personnel – ce qui n’exclut pas pour autant un attachement à l’égalité de traitement.

Un livre passionnant, illustré par des situations vécues, qui éclairent des situations souvent confuses en ouvrant des pistes pour l’action, notamment dans le chapitre 9. Le sentiment de justice comme celui d’injustice est le fruit d’une dynamique personnelle et conjoncturelle, issue de la complémentarité et de la contradiction des trois principes de justice : autonomie-égalité-mérite. Une autre façon peut-être d’écrire liberté-égalité-fraternité.