Au cours de ces derniers mois, de nombreuses publications ont été consacrées à l’Allemagne traitant notamment de questions politiques, économiques et sociales. Ce phénomène s’explique particulièrement en raison des élections en Allemagne et d’une évolution relativement satisfaisante de l’économie allemande par rapport à certaines autres économies européennes, son chômage mieux maîtrisé et son grand succès en matière d’export, grâce à sa compétivité. La revue Cadres a déjà publié un analyse détaillée du livre « Made in Germany » par Guillaume Duval et présente ci-dessous quelques observations à propos d’une publication de Madame Benyahia-Kouider (OBK), publication, disons-le immédiatement, dont la lecture s’impose à tous ceux qui s’intéressent à l’Allemagne.

Le titre de ce livre invite immédiatement le lecteur à se poser quelques questions fondamentales concernant le paiement. L’Allemagne paiera : pourquoi, quoi, à qui, combien de temps encore, etc…?

Mme OBK a travaillé pour Libération pendant 16 ans, dont cinq en Allemagne. Elle est depuis 2008 grand reporteur au Nouvel Observateur, répond à toutes ces questions et beaucoup d’autres, en toute connaissance de cause, avec précision et objectivité.

A juste titre, on peut lire à la quatrième de couverture de son livre que « les Allemands, eux, ont le sentiment d’avoir largement payé leur tribut à l’histoire, tant financièrement que moralement et socialement. Et maintenant, on leur demande de se sacrifier pour les cigales de l’Europe du Sud (et………) c’est presque une tradition : dès que cela va mal, les élites françaises ne peuvent s’empêcher de donner dans la germanophobie la plus primaire (……) les propos anti-allemands sont de plus en plus fréquents, ouverts et virulents ; ce qui montre très souvent une profonde méconnaissance de l’Allemagne. »

Dans 12 chapitres, elle nous présente l’Allemagne contemporaine et dans son excellente conclusion consacrée à la cohabitation franco-allemande, elle précise clairement : « Désormais, l’Allemagne veut être considérée comme une nation à part entière. Une nation qui a aussi le droit d’avoir une armée, des avions, une agriculture, et – pourquoi pas ? – des idées originales pour l’Europe de demain. »

Avant d’aborder plus en détail divers chapitres, revenons sur l’avant-propos dans lequel on trouve certaines réflexions directrices. OBK affirme que « l’Allemagne suscite par vagues successives l’admiration, la jalousie ou le ressentiment et que l’idée selon laquelle l’ancien ennemi aurait une dette inextinguible envers la France et les autres pays d’Europe perdure. » A juste titre, elle est d’avis que « c’est le destin de l’Allemagne contemporaine que d’être sans cesse tiraillée entre ceux qui l’accusent d’imposer ses diktats et de préparer en sous-main un IVe Reich et ceux qui lui demandent de mettre ses milliards sur la table pour sauver le monde. Elle n’a pas d’autre choix que d’accepter ce rôle. »

Elle commence son premier chapitre par un rappel de réflexions de certains hommes politiques à propos de l’Allemagne sans oublier celles du parti socialiste : « La violence des propos ne laisse aucune place au doute : le Parti socialiste est atteint de germanophobie aiguë. La palme revient à Arnaud Montebourg, qui a fait de l’outrance verbale une griffe politique. »

Il est exact que De Gaulle a consacré six jours à visiter l’Allemagne et a tenu son fameux discours à la jeunesse allemande – il s’est efforcé de connaître ce pays, ce qui n’est quasiment plus possible aujourd’hui pour un homme politique dont les agendas deviennent de plus en plus remplis. Son chapitre sur la chancelière, Madame Merkel, qui permet de se faire une très bonne image de cette personnalité se termine par la phrase suivante. « Tous les chanceliers allemands ont leur grand moment dans l’histoire. Konrad Adenauer fut le chancelier de la réconciliation franco-allemande, Ludwig Erhard celui du miracle économique, Willy Brandt celui de la détente avec le bloc soviétique, Helmut Kohl celui de la réunification, Gerhard Schröder celui des réformes économiques, Angela Merkel aura été la chancelière de la crise européenne. » Ajoutons encore à cette liste le chancelier Helmut Schmidt dont les visions politiques et économiques ont une véritable dimension planétaire.

En parlant du modèle allemand, elle rappelle Michel Albert qui disait : « le modèle rhénan, c’est ce qu’on a fait de mieux dans l’histoire économique (…) ; l’idéal c’est tout de même d’avoir des salariés éduqués, compétents et responsables. » Dans ce contexte, Mme OBK a le très grand mérite de rappeler également que « la France et l’Allemagne, (…., ) sont issues de deux traditions économiques totalement opposées. En 1945 (…) l’économie française (se fait) à travers les plans (…). Ludwig Erhard, ministre fédéral de l’Economie (1949-1963) adopta le modèle qui offrait la plus de liberté économique et politique : l’ordolibéralisme ». C’est dans le prolongement de ce système qu’on trouve les fameuses mesures prises par « le docteur Schröder » et son conseiller Hartz et de l’agenda 2010, ce qui a mené à un nouveau choix de société. « Moins de chômeurs, mais plus de précarité. »

En traitant le domaine de l’aviation, OBK explique que l’évolution de la doctrine merkelienne en matière de défense des intérêts nationaux allemands va vers un changement de cap dans la vie des entreprises, Madame Merkel dit « stop » et entre dans le capital des entreprises.

L’exemple des fraises de Rostock en relation avec l’absence d’un salaire minimum montre cependant qu’un producteur de fraises a dit, certainement d’une manière cynique, que ces travailleurs saisonniers de Roumanie « gagnent en huit semaines de quoi faire vivre leur famille durant tout le reste de l’année ». N’oublions cependant pas que des cas similaires existent aussi en France dans d’autres secteurs.

En décrivant la situation d’un pays sans enfants, il s’avère que l’Allemagne est obligée de penser l’avenir différemment de la France ; mais, à mon avis, comme en France, les femmes veulent maintenant travailler plus, et ce n’est pas seulement en raison de leur épanouissement personnel mais par nécessité économique.

Lorsque OBK écrit qu’il est toujours là – Hitler – elle a certainement raison ; mais elle ajoute, à juste titre, que « hormis chez les marginaux néonazis, Hitler reste, aux yeux de la grande majorité (moi je dirais de la quasi-totalité) des Allemands, une figure répulsive, qui les rappelle sans cesse à leur ancienne condition de peuple bourreau. » La figure de la honte, les petits enfants de Hitler, bien analysé dans un chapitre portant le même intitulé posent toujours problème.

Lorsqu’elle aborde une autre question sensible, celle du retour des Juifs en Allemagne et le problème de l’antisémitisme et la position de la France vis-à-vis de l’Allemagne à ce sujet, elle précise qu’« il a fallu attendre 1995 pour que la France reconnaisse que l’Allemagne a fait un travail exemplaire sur son passé. »

Dans sa conclusion, où figurent des observations fines sur la réunification allemande, et la position de François Mitterrand à ce sujet (dans ce contexte, la photo de Mitterrand et Kohl à Verdun m’apparaît plutôt comme une mise en scène), OBK insiste notamment sur la « cohabitation franco-allemande » et présente ses réflexions à propos des élections en automne 2013 en Allemagne. Elle a vu très clairement que « Peer Steinbrück est incontestablement plus francophile qu’Angela Merkel (qui est d’origine polonaise) mais ses chances de victoire (…) sont quasi nulles. »

Le livre s’adresse à un grand public qui le lira avec le plus grand profit, son auteur connaît très bien l’Allemagne et, j’en suis persuadé, un lecteur qui aurait déjà une certaine connaissance de l’Allemagne en retirera une vision élargie de ce pays. S’il veut se renseigner plus spécifiquement sur certains points qu’il souhaite approfondir, il peut avoir recours à des livres/articles spécialisés. Je recommande donc vivement la lecture de ce livre, surtout aux hommes politiques.

Il serait également souhaitable que ce livre soit traduit en allemand afin que les Allemands puissent se rendre compte qu’il existe en France de nombreux germanophiles.