En matière de régulation sociale, l'Etat joue un rôle central en France, même si d'autres acteurs sociaux exercent des responsabilités importantes dans ce domaine, en particulier les partenaires sociaux dans le domaine de la protection sociale ou de la formation professionnelle. Si les rapports de l'Etat avec la société suscitent régulièrement de nombreuses interrogations, les transformations économiques et sociales, avec la mondialisation et la pénétration du modèle marchand libéral qui l'accompagne, l'intégration européenne ou le renforcement des dualismes sociaux, rendent ces interrogations encore plus vives.

Pour y répondre, l'ouvrage mobilise plusieurs disciplines (histoire, droit, économie, sociologie, sciences politiques) et des acteurs publics de premier plan dans l'élaboration des politiques sociales (Jean-Michel Belorgey, Marie-Thérèse Joint-Lambert). Les divers points de vue sont regroupées dans quatre approches. Un premier chapitre « Aux fondements de l'épreuve » explore les principes philosophiques, politiques et juridiques conduisant à établir l'autorité d'un Etat aux multiples visages. Le deuxième chapitre «Etat et sociétés » aborde la question de la détermination de l'espace, modelé ou toléré par l'Etat, dans lequel est produit de la « protection sociale ». Le troisième « Regards sur la confrontation française » s'intéresse plus particulièrement au processus de construction des relations entre l'Etat et les acteurs sociaux et au sens qu'il porte. Enfin, le dernier chapitre « Politiques publiques et compromis social » étudie des cas particuliers d'actions publiques dans le domaine social, et souligne la multiplicité des modes d'intervention, leur sophistication ainsi que leurs limites.

Ce livre permet d'abord de définir précisément les composantes actuelles du rapport de l'Etat au système de régulation sociale, notamment par une catégorisation de ces relations. Par exemple, Jean-Pierre Le Crom définit, à partir d'une analyse historique sur la période 1936-1950, trois modes d'implication dans les relations professionnelles : le droit de grève et le droit syndical, qui sont des libertés publiques et qui, comme telles, doivent être garanties par l'Etat, le droit de la négociation collective, qui doit être restitué aux partenaires sociaux, même si l'Etat peut l'encadrer, le droit des institutions représentatives du personnel où le recours à l'Etat est pensé comme un palliatif à leur dysfonctionnement.

Pierre-Eric Tixier identifie par ailleurs trois systèmes de relations professionnelles dans les entreprises : l'arrangement néo-corporaliste, un modèle syndical de métier, un modèle émergent micro-corporatiste autour des démarches « compétences » .

Si les racines du « compromis à la française » sont bien identifiées dans le livre, les tentatives de transformation des relations sociales à partir des années 70 sont moins connues. Alors même que les compromis traditionnels établis (par exemple, le recours au conflit) s'affaiblissent, il se montre difficile d'en bâtir de nouveaux (l'exemple de la mise en œuvre de la réduction du temps de travail est là pour en témoigner). D'où l'interrogation de Marie-Thérèse Join-Lambert : «Mais où se passent les changements ?» et elle est tentée de les rencontrer sur le terrain, avec l'évolution des pratiques des agents publics ou les modifications sensibles des systèmes de protection sociale.

La réalité et le devenir en France d'un modèle néo-corporatiste, au sens «d'une représentation des intérêts du capital et du travail s'opérant par le canal d'organisations englobantes, voire monopolistiques, fortement hiérarchisées, auxquelles l'Etat concède un rôle institutionnalisé dans l'élaboration et la mise en œuvre de ses politiques» (cf. définition donnée par Laurent Duclos et Olivier Mériaux), traverse également le livre. Pour Michèle Tallard en particulier, qui a réalisé une évaluation de la politique contractuelle de formation continue pour les salariés, «un tel modèle n'existe pas en France du fait de la faiblesse et de la division des organisations syndicales, et l'Etat ne peut contribuer que marginalement à la constitution de partenariats organisés au niveau sectoriel, dans la mesure où il ne peut conférer la légitimité requise aux acteurs, même s'il peut contribuer à les professionnaliser».