Comment les entreprises et les organisations réagissent-elles aux crises ? Les recherches présentées par Dauphine Recherches en Management (DRM), centre universitaire en sciences de gestion, sur les stratégies mises en œuvre par les entreprises en situation de crise s’organisent autour de problématiques assez classiques de restructuration, d’intégration de nouveaux enjeux, de sécurisation des transactions et d’adaptation aux évolutions de leur environnement. Cependant, même si ces recherches sont conduites plutôt à partir de programmes pluriannuels, leurs résultats entrent parfois en résonnance avec l’actualité
Thibault Barbarin et Pierre Volle nous rappellent que les entreprises sont bon gré mal gré constamment en apprentissage en raison des évolutions de leur environnement sociétal. Certaines utilisent les crises comme des opportunités d’apprentissage pour développer leur capacité d’adaptation. Ainsi, des opérateurs nationaux ayant des délégations de service public comme la SNCF ou la Poste pratiquent des « expérimentations d’affaires » : par exemple, IDTGV à la SNCF pour tester des segments de clientèle ou la Poste pour la réorganisation opérationnelle en continu. Ces deux auteurs proposent une typologie des « expérimentations d’affaires » en marketing mettant en évidence des modes d’expérimentation distincts qui vont de la démarche exploratoire à la restructuration organisationnelle, en passant par le choix d’options stratégiques de valorisation.
Parfois pour faire face aux crises ou pour survivre, les organisations adoptent des comportements mimétiques : c’est une des conclusions de l’analyse d’Adrien Laurent portant sur le monde associatif, enquêtant un secteur étroitement lié aux modalités de la régulation publique dans un contexte général de resserrement des contraintes économiques. Le panorama des restructurations organisationnelles montre la prééminence dans le débat des « associations gestionnaires » constituées en tant qu’opérateurs de politique publique mais également l’émergence de formes de restructurations inter-organisationnelles qui par-delà les formes juridiques particulières s’articulent autour de quatre pôles : la création de structures communes, le rapprochement autour d’une action partagée, la fusion avec apport d’actifs partiels et spécifiques et last but not least la mutualisation des moyens.
Comment ces organisations intègrent-elles les nouveaux enjeux mis à l’agenda par la responsabilité sociétale et environnementale (RSE) ? L’étude de Frédérique Déjean montre comment l’introduction de règles extra-financières dans les normes comptables conduit à un glissement des enjeux : le reporting extra-financier est de moins en moins utilisé aux fins de légitimation par du story telling , par contre de plus en plus dans une démarche d’objectivation, notamment par le truchement de la déclaration de performances extra-financières, plaçant les informations comptables au cœur des débats environnementaux en termes de mesure d’une performance élargie aux objectifs de la transition sociétale. De ce point de vue, le rapport Notat-Sénard sur l’Entreprise objet d’intérêt collectif a constitué une étape importante dans la prise de conscience de l’insuffisance des normes comptables de l’International Accounting Standard Board pour la prise de décision responsable des investisseurs.
En s’intéressant à l’étiquetage pour orienter les enfants vers des choix de consommation plus responsables, Béatrice Parguel et Karine Charny montrent comment les comportements des parties prenantes peuvent évoluer pour se conformer à un ensemble de valeurs. Ces travaux s’appuient sur la théorie de l’étiquetage social qui soutient que l’individu intègre les traits associés à l’étiquette représentant les croyances qu’il a sur lui-même. Les expérimentations menées dans le cadre de cette recherche mettent en évidence le rôle majeur de l’âge dans la perception du « soi », recommandant d’utiliser ce type de nudge, système incitatif, seulement avec des enfants âgés de plus de dix ans.
Comment les entreprises ou les associations, peuvent-elles dynamiser les échanges de façon à promouvoir la coopération en leur sein ? Depuis les années 1990, les sciences de gestion se sont intéressées aux communautés de connaissances dans le but de favoriser l’Innovation. Au sein de l’entreprise, ces communautés se sont organisés autour des savoir-faire, formant des « communautés de pratique », lieux d’interactions sociales conçues pour favoriser les apprentissages. L’étude de ces communautés de pratiques par Aurore Haas et David Abonneau montre que les facteurs du succès relèvent non seulement du culturel (contexte professionnel, entrepreneurial, voire national) mais également des caractéristiques individuelles relatives à l’engagement dans la sphère du travail, qu’il soit affectif, normatif ou calculé pour maximiser d’éventuels gains. Voici des conclusions qui devraient conduire à une réflexion sur cet impensé syndical qu’est la nature de l’engagement professionnel.
Les inégalités territoriales sont multidimensionnelles et perdurent dans les faits. Cependant, elles peuvent également s’alimenter des représentations qui en sont faites dans l’espace public. D’autres crises nous l’ont montré avant celle de la Covid 19 : les représentations de la ruralité sont ambivalentes. Paul-Mathieu Caitucoli, Valérie Guillard et Fabrice Larceneux montrent à travers l’analyse d’entretiens semi-directifs que le discours de la puissance publique gagnerait à sortir du registre de la relégation pour s’inscrire résolument au fronton des opportunités. Les zones rurales peuvent contribuer au dynamisme national à la fois en tant qu’espaces physiques dotés d’aménités naturelles et patrimoniales incontestables en jouant la complémentarité et la connexion relativement aux zones urbaines, mais aussi en tant qu’espaces de valeurs où s’exercent d’indispensables solidarités au bénéfice du développement sociétal.
Une liste des thèses en sciences de gestion soutenues au sein de DRM et un agenda de la vie des affaires complètent cet opus fournissant une documentation utile pour celles et ceux qui s'intéressent à l'évolution des techniques de management au sein des organisations.
La crise de la Covid 19 fournit une « expérience naturelle » aux théoriciens du management pour tester leurs hypothèses à une échelle inédite, celle de la planète : frontières fermées, isolement sanitaire et confinement. Formons le vœu que de telles études s'attachent à mettre en évidence la contribution des salariés à la résilience des entreprises, associations et administrations face aux crises.