Dans cet essai sans tabous, Marie Duru-Bellat met en cause la poursuite, individuelle et collective, du « toujours plus de diplômes », de la recherche de qualifications toujours plus élevées. Une mise en questions salutaire, au vu des difficultés d’insertion professionnelle des jeunes, non qualifiés ou qualifiés, au vu des « pannes » de l’ascenseur social.

L’augmentation du nombre des diplômés est réelle : 5 % d’une classe d’âge au bac en 1950, 21 % en 1970, 36 % en 1885, 66 % en 1995 et actuellement de 69 %. 40 % des jeunes ont un diplôme au moins égal à bac+2, contre 15 % il y a vingt ans. Cette augmentation rapide du niveau de diplôme est sans commune mesure avec les possibilités d’insertion professionnelle, et pour éviter un « déclassement » chacun poursuit encore plus loin, la mise en œuvre du LMD poussant également les bac+2 à faire un bac+3 (Licence), les bac+4 (anciennes maîtrises) à poursuivre à bac+5 (Master 2). La spirale inflationniste est réelle, non maîtrisée.

Mais pour quelle utilité sociale, pour quelle justice sociale ? Si l’effet diplôme permet, de façon différentielle, à une personne donnée de mieux trouver un emploi, les effets collectifs de la course au diplôme sont à questionner : déclassement réel des diplômes de niveau bac, hiérarchisation croissante des itinéraires. Dans le même temps, alors que le discours du « toujours plus de qualification » est récurent, la structure sociale et la structure des emplois ne se déforment pas dans les mêmes proportions. Alors qu’en 1967, le bac permettait d’espérer à 50 % une insertion comme cadre ou profession intermédiaire, il faut maintenant un bac+2 ; à terme, le bac+2 permettrait de s’insérer comme ouvrier ou employé. Le bac+4 permet à seulement la moitié des étudiants sortis en 2003 d’obtenir un emploi de cadre ou de fonctionnaire de catégorie A, un an après leur diplôme ; le bac+5 apparaissant déjà depuis plusieurs années comme la condition nécessaire – pas toujours suffisante- du recrutement cadre.

Notre système scolaire méritocratique, « juste car méritocratique », n’est pas un système juste. « Fiction nécessaire », le mérite est « l’illustration de la fonction sélective de l’école : il importe de trier les plus méritants du point de vue scolaire parce qu’il sera ainsi efficace et juste de les aiguiller vers les places les plus enviables de la société. »

Le mérite scolaire, la distinction par le diplôme ne sont alors que des mythes républicains, sensés expliquer et justifier une réalité.

Une réalité qui est tout autre, réalité d’un système scolaire et universitaire à bout de souffle qui, d’un côté, investit dans des voies d’excellence, proches des besoins des entreprises (grandes écoles, IUT, BTS) d’emblée sélective et assurant une bonne insertion professionnelle, de l’autre, les universités non sélectives à l’entrée, sélectives de fait par l’échec dans les deux premières années, ultra sélectives pour les formations professionnalisantes à Bac+5 et les doctorats.

Les universités renvoyant encore la sélection après le diplôme sur les concours de la fonction publique ou la dure réalité du marché du travail. Que deviendront les 11 000 étudiants inscrits en Staps alors que le nombre de postes mis au concours est de moins de 3000 ! La poursuite vers un diplôme devient alors souvent un miroir aux alouettes, d’autant plus si l’étudiant vient d’un milieu social moins favorisé !

Cet allongement de la durée des études, sans bénéfice réel pour une insertion professionnelle de qualité pour le plus grand nombre, tend à prolonger de façon factice une période de sas avant l’entrée dans la vie professionnelle, génératrice d’inquiétudes face à l’avenir. La période que nous venons de vivre avec la mobilisation étudiante pour le retrait du CPE est en ce sens emblématique.

Il est alors nécessaire de repenser l’entrée dans la vie, en dissociant éducation d’orientation/sélection, en construisant des dispositifs pédagogiques nouveaux, dans un système plus ouvert (ce que nous connaissons par exemple dans les pédagogies d’alternance et d’apprentissage), avec des passerelles et des filières de deuxième chance. Egalement en repensant les dispositifs d’orientation professionnelle – aujourd’hui parent pauvre de l’éducation nationale, notamment au niveau CAP-BEP-Bac Pro et à celui des études supérieures, et en rendant la vie professionnelle plus attractive.

C’est aujourd’hui tout l’enjeu du débat national « Université-Emploi » que vient de lancer le gouvernement. Espérons que Marie Duru-Bellat, membre de la commission de ce débat national, pourra y faire valoir ses analyses et ses points de vue.

Un livre important et d’actualité, à lire en urgence après les luttes anti-CPE de ce printemps, à discuter et à s’approprier pour reconstruire des dispositifs d’entrée dans la vie professionnelle qui donnent des perspectives à chacun.