Dans ses précédents ouvrages et en particulier Tous sublimes, Bernard Gazier se montrait résolument optimiste dans son exploration d'un nouveau modèle social. Sans changer de direction, il semble avoir pris la mesure des résistances et des peurs qui travaillent la société française, en consacrant de longs développements aux jeu des acteurs et à la crise du CPE. Mais en faisant le choix d'écrire son nouvel ouvrage avec Peter Auer, un économiste d'origine autrichienne qui dirige une équipe de recherche de l'emploi au Bureau international du travail, il indique implicitement la voie à suivre pour enfin construire une sécurisation des parcours faisant la part de la flexibilité sans sombrer dans la précarité.

Bernard Gazier et Peter Auer militent en effet pour une sortie du cadre franco-français et la recherche d'un modèle social européen, sans chercher pour autant à copier/coller telle organisation sociale « parfaite » d'un pays vers un autre.

Trois pays sortent du lot, le fameux « top model » danois, l'Irlande et l'Autriche ; mais tous trois, précisément, ont bâti du « sur mesure » en rapport avec leurs spécificités. On ajoutera que leur taille, celles de grosses régions, les rend sans doute plus aisés à réformer que les grandes économies continentales, en favorisant le sens de la communauté et de la cohésion sociale.

Il n'y a pas de solution miracle, mais des réponses locales, avec par exemple les fondations du travail autrichiennes en cas de licenciement et le système de licenciement très souple du Danemark, qui fonctionne aussi parce que les PME sont légion ; de la même façon, le modèle danois comporte à la fois une protection très forte en termes de prestations et une part de contrainte tout aussi forte à l'égard des demandeurs d'emploi, qui ont beaucoup moins qu'ici la possibilité de refuser un poste.

Le fameux concept de la flexicurité, décliné par tous les partis politiques et les syndicats, est un néologisme hollandais qui vise à combiner les exigences de la flexibilité du marché du travail et celles de la sécurité des personnes.

Ce serait la réponse européenne à la mondialisation, contre celle des Etats-Unis fondée sur le modèle de la flexibilité. Malgré des modèles sociaux assez disparates en Europe, les auteurs définissent un « triangle d'or » de la flexicurité à l'européenne, combinant un appareil de protection sociale très développé et coûteux, des travailleurs bien formés et l'existence d'un dialogue social.

Bernard Gazier et Peter Auer osent une définition de la flexisécurité : politique d'adaptation concertée des entreprises, de l'économie et de la société, fondée sur une législation protectrice de l'emploi et sur une sécurité sociale établies en fonction d'un marché du travail plus ouvert. Elle exploite et développe les nouveaux droits sociaux permettant de construire et contrôler sa carrière personnelle et professionnelle, afin de générer une nouvelle sécurité des personnes face aux défis de la globalisation et de la société de la connaissance.

C'est tout l'intérêt du livre, que de ne pas établir un catalogue de préconisations mais un cadre de responsabilité pour l'ensemble des acteurs. La combinaison des politiques de protection de l'emploi et de celles des protections sociales avec le dialogue social comme arbitre des contrôles et des sanctions contre les abus n'est pas suffisante. Les partenaires sociaux doivent s'emparer du dérogatoire et de la négociation collective pour trouver les solutions ad hoc.

La promotion d'un travail décent avec un équilibrage entre flexibilité et sécurité de l'emploi et des mobilités protégées demande une synergie entre politiques européennes, nationales et régionales jusqu'à l'entreprise.

Contrairement à ce que laisserait supposer son titre, ce livre est résolument militant pour l'activation d'une gestion des risques économiques et sociaux, combinée à de nouvelles formes de solidarité.