La distribution des revenus, résultant de la croissance durant les trente « glorieuses » années d'après guerre, peut se représenter sous la forme d'une montgolfière ventrue (peu de riches, peu de pauvres, beaucoup de moyens revenus) qui s'élève régulièrement. C'était le modèle de développement fordiste ou keynésien. Mais la mise en place d'un nouveau modèle de développement, le libéral-productivisme, va engendrer la société en sablier : le ventre des moyens revenus tend à disparaître, la classe pauvre s'accroît et on assiste à une hausse des profits qu'ils soient sous forme de revenus financiers ou salariés des hauts dirigeants.

A. Lipietz voit deux modes de sortie de crise du fordisme : une augmentation de la pression sur les travailleurs occupés, c'est, selon lui, la voie choisie par les pays anglo-saxons, l'Europe du Sud et la France. Une autre voie, c'est la recherche d'un compromis fondé sur la mobilisation de la ressource humaine (Japon, Allemagne, Italie du Nord, Scandinavie...).

Cette classification me paraît assez arbitraire. Il n'empêche que l'auteur se livre à une radiographie de la société en sablier qui est édifiante. Aux Etats-Unis de 1947 à 1973, le revenu réel du ménage médian a augmenté de 2,8% par an (doublement en vingt ans). Mais de 1973 à 1993 ce même revenu n'a plus augmenté que de 0,1% par an (doublement en cent ans). Pour les grandes entreprises, le rapport entre le revenu versé par la firme à son plus haut dirigeant et celui versé à l'employé de base est en moyenne de 150 à 1. De 1973 à 1992, les 20% les plus pauvres se sont appauvris (- 12%) les 20% les plus riches se sont enrichis (+ 19%).

Pourquoi cet écart croissant ? Pour A. Lipietz «l'effondrement de la montgolfière de ce qui fut la société de bien-être résulte fondamentalement de la précarisation de l'emploi». L'emploi est donc un objectif prioritaire. Cependant on peut aussi trouver « sa place dans la société » sans travailler mais de plus en plus de candidats cherchent un emploi sur le marché : «... de plus en plus d'hommes et de femmes quittaient des formes de vie en société où l'on avait sa place sans avoir un emploi: les communautés paysannes et le travail domestique des femmes. Ce mouvement est irréversible... ».

Si l'emploi est un objectif prioritaire, il ne faut toutefois pas vouloir séparer la lutte pour l'emploi de la lutte pour la réduction des inégalités car : «le chômage ou la précarisation des uns est la conséquence de l'accumulation des revenus chez les autres».

La solution proposée c'est la réduction massive, rapide et générale du temps de travail (donc organisée par une loi) à 35 heures dans une première étape : plus d'un million et demi d'emplois supplémentaires pour une baisse de 10% de la durée du travail. On garantit parallèlement le maintien du salaire mensuel jusqu'à la médiane (1,8 SMIC) en laissant le salaire des cadres à la négociation de branche et d'entreprise. Et pour favoriser le temps partiel, une aide publique importante (second chèque) sera versée aux volontaires.

Enfin, comme la réduction du temps de travail ne sera pas suffisante pour résorber complètement le chômage, il faut prendre d'autres mesures comme le tiers-secteur d'utilité sociale qui s'occuperait de ce dont ne s'occupent pas les autres secteurs (public et commercial). Le financement de ce secteur se ferait sous la forme d'une double subvention (une allocation plus une dispense de taxes et de cotisations).

Voilà une contribution fort intéressante aux débats sur la sortie de crise, néanmoins, on est parfois un peu agacé car à lire A. Lipietz on a l'impression que les problèmes sont simples à résoudre et que seules les solutions qu'il propose avec les Verts sont les bonnes. Les hommes politiques et économistes, qu'ils aient été ou non au pouvoir, devraient faire preuve d'un peu plus de modestie, les grandes théories et modèles économiques sortis de leurs ordinateurs, lorsqu'ils sont appliqués, réservent parfois de bien désagréables surprises.