On peut vraiment dire que de 1930 à 1980, le Brésil avait un modèle de développement économique. Le Brésil a d’abord été un producteur et exportateur de produits agricoles, le café étant le principal produit d’exportation. La crise de 1929 et la « révolution » de 1932 ont conduit à penser à une industrialisation. Il s’agissait de transformer une économie liée à la terre et à l’exportation en une économie industrielle, dont le principal constructeur était le gouvernement.

Contre l’échange inégal, la substitution d’importations

D’après l’interprétation américaine de la théorie des avantages comparatifs, les pays d’Amérique latine devaient se spécialiser dans les produits agricoles, chacun dans un produit spécifique, et échanger avec les pays industrialisés. Au sein de la CEPAL - Commission économique pour l’Amérique latine - l’économiste argentin Raul Prebisch et l’économiste brésilien Celso Furtado ont combattu cette idée, en compagnie de Maria de Concesion Travares et de Fernando Henrique Cardoso. La CEPAL, avec Prebisch à sa tête, a mis au point la théorie de l’échange inégal. L’échange inégal, c’est l’exportation de produits agricoles et l’importation de produits d’équipement. A partir de la deuxième moitié des années cinquante, la CEPAL a dessiné un plan d’objectifs à atteindre, accepté par le président Jucelino Kubitcheck et développé par la BNDE - banque de développement économique - et la CEPAL. Les principaux points en étaient la formation de l’industrie de base : énergie, transports, alimentation, sidérurgie, métallurgie, aluminium, industrie automobile, construction de la ville de Brasília. Le bilan ? On a réussi à développer une certaine base économique au Brésil. La croissance économique a été importante dans cette période. L’axe central du plan était l’investissement par l’Etat et le capital national privé ainsi que l’installation d’entreprises multinationales et les emprunts à l’extérieur. Il y a eu une croissance économique et un développement industriel. Puis à la fin des années cinquante sont apparus l’inflation et l’endettement public. Les analyses de la CEPAL montraient que les questions sociales avaient été négligées. Au début des années soixante, l’inflation et l’endettement public continuaient, la crise économique et politique commençait. Le président Kubitchek ne trouvait personne à la hauteur pour le remplacer. Le parti d’opposition était vainqueur aux élections, avec Quadros. Celui-ci a très vite renoncé au pouvoir. João Goulart, dit « Jango », a pris le pouvoir. Goulart était considéré comme subversif, communiste, et dans le contexte mondial de la guerre froide, il y a eu le coup d’Etat de 1964. Pendant la dictature, les militaires menèrent le développement économique du pays. Leur première action en 1964 fut de mettre en place le plan PAEG - programme d’action économique du gouvernement - dont l’objectif principal était de diminuer l’inflation et de promouvoir des réformes institutionnelles, comme la création d’une banque centrale, la réforme du système financier.

Le miracle économique et les inégalités

Ce plan a effectivement permis la réduction de l’inflation et du déficit public. Entre 1968 et 1973, c’est la période du « miracle économique », qui a été permis par deux conditions, l’une interne et l’autre externe : la disponibilité de facteurs de production, car l’industrie ne travaillait pas à pleine vapeur et il y avait de vastes ressources de main-d’œuvre ; la disponibilité d’argent liquide importante à l’extérieur, qui permettait de faire des emprunts. Cette période a connu des taux de croissance de 11 % l’an. C’est un aspect positif, mais en contrepartie la richesse s’est concentrée, de grosses fortunes se sont construites. De 1974 à 1979, c’est le deuxième PND - plan de développement national - dont les deux points principaux sont l’accroissement des investissements en biens d’équipement et celui de la production de matières premières. Pourquoi les deux en même temps ? Les biens de capitaux parce qu’il fallait des machines pour le développement industriel, les matières premières parce que le Brésil avait subi la crise du pétrole en 1973 et essayait de développer une autre solution sur le marché interne. Les taux de croissance étaient élevés. En 1979, le deuxième choc pétrolier a conduit à une crise de liquidités sur le marché international.

L’endettement et l’accélération de l’inflation

L’équipe qui gérait alors le pays s’est divisée sur la question de l’endettement. Le ministre de l’économie, Mario Henrique Simonsen, a proposé de freiner les investissements pour ajuster l’économie, car on empruntait trop et la situation mondiale n’était pas très bonne. Les militaires se sont opposés et l’ont remplacé par le ministre de l’agriculture, Delfin Neto, pour lequel la croissance valait la peine de s’endetter. Le résultat a été la crise des années quatre-vingt, avec deux caractéristiques : l’endettement extérieur n’en finissait pas de grandir et le taux d’inflation s’accélérait. A partir de 1984, la récupération s’est produite très lentement, l’inflation a baissé et Delfin Neto a essayé de promouvoir les exportations. En 1985, l’ouverture politique commence, c’est la fin de la période dictatoriale, le moment de transition. De 1986 à fin 1989, trois plans de stabilisation se succèdent : le plan Cruzado (1986), le plan Bresser, du nom du ministre (1987) et le plan verão, plan été (1988). Ils ne furent pas efficaces pour le contrôle de l’inflation.

Consensus de Washington et plan Real

En 1989, les élections présidentielles mènent Collor à la tête de l’Etat. C’est un chapitre assez triste de l’histoire brésilienne. Le président Collor a présenté un discours disant qu’il voulait mener le Brésil à la modernité, il a essayé lui aussi de contrôler l’inflation, mais le plus important pour lui était l’ouverture économique. La mise en place du plan Collor a été précédée par le consensus de Washington, par lequel le FMI, la Banque mondiale, le gouvernement des Etats-Unis et les principaux pays créanciers de l’Amérique latine s’étaient mis d’accord sur un agenda pour les pays d’Amérique latine comportant les points suivants : stabilisation de l’économie, ouverture commerciale et financière, accélération du processus de privatisation, réduction du déficit public, diminution de la taille de la machine de l’Etat, de la bureaucratie. Le plan Collor est la réplique fidèle du consensus de Washington mais la stabilisation de l’économie a mal tourné. L’« empeachement » (destitution) de Collor pour corruption a conduit le vice-président Itamor Franco à la présidence et en 1994 le ministre de l’économie, Fernando Henrique Cardoso, l’actuel président, a établi le plan Real. Le plan Real a permis de contrôler l’inflation et de donner un certain pouvoir d’achat aux pauvres. Le boom de la consommation qui en a résulté en 1995 a été tel que l’industrie n’arrivait pas à faire face à la demande, l’Etat a alors augmenté les taux d’intérêt pour freiner la consommation et facilité les importations pour stabiliser les prix, ce qui a creusé le déficit de la balance commerciale. A partir de 1996, les gains que la population la plus pauvre avait obtenus se sont dilués. Un taux de change très fort et des taux d’intérêt élevés permettent le contrôle de l’inflation mais entraînent aussi une stagnation de l’économie et donc une détérioration de l’endettement externe du pays, l’augmentation du chômage et le désintérêt pour les questions sociales telles que la santé, la formation professionnelle, l’éducation et les infrastructures.

L’incantation à la concurrence systémique

Le gouvernement F.H. Cardoso parle de compétitivité ou concurrence systémique, d’une insertion qui ne soit pas passive du Brésil dans le processus de globalisation. Mais la politique économique menée va contre cette systémisation de l’économie. L’Etat part de l’hypothèse que les importations d’aujourd’hui, dans un délai à moyen terme, seront converties en exportations, mais rien ne l’assure : une recherche du CNI, Centre national des affaires, dépendant du patronat, et de la CEPAL, montre que 60 % des importations actuelles et prévues dans les prochaines années permettent des investissements destinés au marché intérieur, ce qui n’aura pas d’effet sur les exportations et donc sur la balance commerciale. D’autre part, il n’est pas impossible que l’état des comptes extérieurs mène à une crise comme celle de la Thaïlande.