L’ouvrage collectif dirigé par Marie-Noëlle Auberger aborde la question du comité d’entreprise de manière très complète et sous plusieurs angles : son histoire, ses fonctions, l’articulation avec les autres institutions représentatives du personnel (IRP), la réalité de son influence sur la gestion de l’entreprise, les évolutions induites par la règlementation européenne et la mondialisation ou encore sa place au regard d’institutions comparables dans le monde.

Marie-Noëlle Auberger est experte auprès du comité économique et social européen (section emploi affaires sociales et citoyenneté). Elle a été pendant 12 ans secrétaire nationale de la CFDT et rédactrice en chef de la revue Cadres. Consultante et corédactrice de la missive Gestion Attentive (http://www.gestion-attentive.com), elle est spécialisée dans les publications d’articles et d’ouvrages sur la responsabilité sociale des entreprises et le dialogue social. Elle était donc bien placée pour animer l’équipe, une dizaine de contributeurs universitaires, qui propose le présent ouvrage.

Le livre est préfacé par Claudia Menne, secrétaire confédérale de la confédération européenne des syndicats, ce qui lui donne en quelque sorte un « imprimatur syndical » qui n’est pas sans intérêt, s’agissant d’un livre qui pourra servir de base à la réflexion de tout syndicaliste ou de tout dirigeant d’entreprise qui souhaite se poser la question de son propre fonctionnement ou de celui de son entreprise au regard de cette institution et des besoins auxquels elle est censée répondre.

Cet ouvrage pourra en effet être lu avec profit par une section syndicale voulant remettre à plat sa politique de contrôle de la gestion de l’entreprise ou de redistribution des subventions allouées par l’entreprise au titre des activités sociales et culturelles (ASC).

Un secrétaire de CE ou de CCE qui prend ses fonctions y trouvera également de précieux éléments de réflexion : toutes les questions concernant la gestion des ASC et le rôle de « donneur d’avis » de l’institution y sont évoquées en détail. Il y découvrira, par exemple, qu’il sera confronté à l’ambivalence du rôle du CE : est-ce d’abord un pourvoyeur d’ASC pour les salariés ou d’abord un organisme qui veille au respect par l’employeur de l’intérêt des travailleurs ? Cette question n’est pas sans implications pratiques, le temps disponible, les centres d’intérêts et les compétences des élus n’étant pas extensibles à l’infini.

Mais le principal intérêt de ce livre réside ailleurs. Il souligne les deux limites du dialogue social tel qu’il est organisé. Il y a, d’une part, l’ambivalence qui donne à cette institution deux compétences qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre, à savoir la gestion des œuvres sociales et le contrôle de la gestion de l’entreprise. Sont ainsi mobilisées dans la même instance, alors qu’elles sont limitées en volume, des ressources de centre d’intérêt et de compétences différentes. L’une des deux fonctions risque de n’être pas remplie de manière satisfaisante.

D’autre part, dans le cadre du contrôle de l’entreprise, il est tout à fait clair que l’esprit des textes n’est en général pas appliqué. Il s’agit pour le CE de vérifier pour le compte des salariés que la direction prend des décisions (implantation de sites, investissements, localisation d’activités…) conformes à leur intérêt, ainsi que des décisions qui concourront à sauvegarder l’emploi. Les textes prévoient que le CE est consulté pour donner son avis avant que la décision ne soit prise, dans un délai tel que l’avis qu’il émet doit pouvoir être pris en compte. Ce qui n’est évidemment, le plus souvent, pas le cas. Sans parler des entreprises qui ne respectent pas la loi : en général les dirigeants préparent les restructurations lourdes des mois et parfois même des années à l’avance et ce n’est que quand tout est bouclé que la procédure d’information et de consultation est mise en oeuvre.

Une remarque s’impose : l’intérêt des salariés à court terme peut entrer en conflit avec leur intérêt à moyen terme : empêcher des évolutions de structure à court terme peut nuire à la compétitivité de l’entreprise et donc nuire à l’emploi ultérieurement. La responsabilité des acteurs, direction, bien entendu, mais aussi organisations syndicales, est donc réelle.

Pour que les CE et CCE - ou les organisations syndicales - puissent intervenir dans le débat selon l’esprit de la loi, il faudrait qu’ils soient « dans la boucle » lorsque les idées ne font pas encore l’objet d’un consensus au sein de la direction générale. Dans ces conditions, ils pourraient participer à la réflexion de celle-ci et émettre au nom de leurs mandants des avis qui pourraient avoir une influence réelle. Le CE n’aurait plus alors qu’à valider, ou à refuser, un projet sur lequel il n’aurait pas cessé d’émettre des avis et qu’il aurait eu quelques chances d’infléchir. Il passerait ainsi du statut actuel, de fait, de chambre d’enregistrement, à un statut potentiel de chambre d’influence.

C’est un mode de fonctionnement qui existe dans les pays du Nord. Il suppose que soient respectées deux conditions : le respect de la confidentialité des projets pendant la période d’avant-projet et l’existence d’une relation de confiance (qui n’empêche pas l’épreuve de force) entre les acteurs. Force est de constater que nous n’en sommes pas là dans la tradition française.

Enfin le livre souligne que depuis 2008 l’élection au CE détermine la représentativité des organisations syndicales dans l’entreprise. Plus encore, en obligeant les délégués syndicaux à un résultat personnel dans cette élection, la loi fait un lien entre la représentation des syndicats et le résultat de l’élection.

Les conséquences à terme de cette nouvelle législation sont encore difficiles à cerner ; si une concentration syndicale devait en résulter, la puissance des syndicats survivants vis-à-vis des directions en serait accrue et leur responsabilité tout autant. L’évolution d’un syndicalisme de confrontation vers un syndicalisme de responsabilité pourrait en être facilitée.