À quoi servent les sciences sociales ? Deux chercheurs, Patrick Obertelli et Richard Wittorski[1], s’intéressent à la portée sociétale des recherches en sciences humaines et sociales. Peut-on décider d’une politique de gestion hospitalière sans appréhender le métier et le consentement aux soins ? Comment porter une politique d’intégration sociale sans connaître l’importance de l’éducation populaire ? Pourquoi lutter contre le chômage sans anticiper les besoins en compétences ? En somme, à quoi servent les sciences humaines et sociales dans la gestion publique et les choix démocratiques ? Voici un exemple de valorisation de la recherche dans différentes disciplines utiles à notre société. Deux ouvrages donnent la parole à une trentaine de chercheurs ou experts sur des sujets à fort enjeu social et très variés, tels que : l’intelligence artificielle et le contrôle social ; les problèmes d’organisation de la sécurité civile ; le défi de l’accompagnement par la recherche de la transformation des paradigmes d’enseignement, pour citer le premier[2]… Dans le second, les auteurs explorent plusieurs domaines : la politique de soin en épidémie ; l’éducation populaire ; la formation en situation de travail ; le rôle du pouvoir judiciaire ; le partage du pouvoir dans l’entreprise[3]… Ils rappellent ainsi l’importance de la démarche, dite de recherche-action, qui transforme la recherche intellectuelle et nourrit les acteurs sociétaux. Et s’inscrivent dans la tradition plus large, celle de considérer la société d’abord comme un ensemble d’acteurs. Cela n'est pas inutile dans un monde comme le nôtre en recherche de régulation sociale, humaniste, où les démocraties sont minoritaires.

Ce qui est intéressant, c’est de regarder particulièrement les interactions entre ce qui est du domaine des initiatives des organisations en général, que ce soit des ministères publics, des entreprises, etc., et puis les individus et les collectifs. Les auteurs cherchent à analyser les fonctionnements démocratiques, la place des acteurs, les marges que leur laissent les organisations et les interactions. Les rapports peuvent être harmonieux, conflictuels, complémentaires. Il est essentiel de se pencher sur les modes de fonctionnement des institutions et de la société, pour éviter l’apathie et la tentation autoritaire. Même au sein des entreprises, où il est important de mener le débat sur le partage du pouvoir et des responsabilités. Le fonctionnement démocratique, au sens d’une place donnée aux acteurs, passe sans doute par la collégialité. En matière de santé, les liens patients-soignants, en matière de formation en situation de travail, etc., cela s’illustre par des articulations entre expertises et action.

En ce sens, l’expérience de la conférence citoyenne sur le climat est exemplaire. Il ne s’agit pas de mettre tous les avis sur le même plan, entre citoyens et experts, mais bien de les articuler et de tenir chacun d’eux pour légitimes. Chacun a des attentes et des compétences, non pas sur le même niveau, mais s’articulant entre elles. Il faut des citoyens dans les équipes de recherche, et il faut des experts aux côtés des citoyens. Chacun a sa place dans un système qui favorise la subsidiarité. En effet, dans le domaine du soin, chacun a un rôle complémentaire, la science au service de l’homme, le consentement du patient au soin. L’expert doit accepter de penser son savoir en fonction de la société, et le citoyen doit accepter que ses réactions, demandes, émotions, soient en quelque sorte accompagnées et régulées par la rigueur de la connaissance scientifique.

[1] P. Obertelli est professeur à CentraleSupélec, chercheur au Centre de recherche sur la formation du Cnam (CRF-Cnam), membre de la Commission des titres d'ingénieur, intervenant en entreprises. R. Wittorski est professeur des Universités, directeur de l’ESPE (Ecole Supérieure du Professorat et de l’Education) de l’Université de Rouen et chercheur au laboratoire CIVIIC (Centre de recherche Interdisciplinaire sur les Valuers, les Idées, les Identités et les Compétences).

[2] La recherche en sciences humaines et sociales et les enjeux de sociétés, 2019.

[3] Avec la participation de Laurent Mahieu, secrétaire général CFDT Cadres.