Ce document de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)[1] est vraiment très utile pour engager une réflexion sur l’avenir du syndicalisme. Des précautions sont prises sur les relations de causalité entre les systèmes de négociation collective, les dispositifs de parole directe des travailleurs et la qualité de l’environnement de travail. Une tendance nette se dégage toutefois sur les avantages d’une décentralisation des lieux de négociation et d’une bonne articulation entre la parole directe des travailleurs et la parole représentée au travers des institutions représentatives du personnel. Ce sont très probablement les ingrédients essentiels d’un renouveau du syndicalisme et d’une re-syndicalisation. Ainsi que le précise le rapport, « dans les pays où les conventions collectives sont signées principalement au niveau de l’entreprise, la couverture tend à aller de pair avec la densité syndicale ».

La décentralisation des négociations ne doit pas être « entière » ou « large ». L’optimum identifié par l’OCDE est un système « décentralisé et coordonné ». Dans ce système, les accords sectoriels fixent des conditions-cadres générales mais laissent des dispositions détaillées aux négociations au niveau de l’entreprise. On pourrait s’interroger si les nouvelles obligations de négocier en entreprise instituées ces dernières années en France permettent d’aller vers cette forme de décentralisation. Pas sûr si l’on prend en considération les deux conditions du système décentralisé et coordonnée, à savoir la place laissée aux entreprises de modifier les termes des accords de niveau supérieur, d’une part, et la possibilité laissée aux accords d’entreprise d’assurer un rôle important dans la détermination des conditions d’emploi, d’autre part. Par ailleurs, cette obligation législative peut « être partiellement ou totalement inefficaces si elles ne parviennent pas à changer les pratiques sur le terrain et la culture générale de la négociation ». On pourrait perdurer dans le contexte d’un dialogue social médiocre tel que décrit dans le rapport de l’OCDE, « où les employeurs sont légalement mandatés pour avoir des institutions représentatives, mais ne sont pas disposés à s’engager dans des échanges directs avec les travailleurs », ce qui peut les conduire « à adopter des pratiques restrictives en réponse, augmentant le contrôle et la surveillance et diminuant ainsi davantage l’autonomie des travailleurs ». Ce sont ces pratiques, associées à certaines attitudes syndicales de contestation systématique, qui s’autoalimentent et se traduisent in fine par « une corrélation négative entre la présence d’institutions uniquement représentatives pour la parole et une moindre autonomie en termes de liberté de fixer l’ordre des tâches, de définir la méthode de travail ou le rythme de travail ». Cette obligation de négocier dans l’entreprise, non fondée sur une confiance mutuelle entre les partenaires sociaux, dans un système restant pour l’essentiel centralisé, pourrait ainsi se retourner contre les travailleurs qui perdraient en liberté et autonomie au travail.

Concernant l’articulation entre la parole directe des travailleurs et la parole représentée, il est essentiel de bâtir l’action syndicale à partir de ce qui fait concrètement problème pour les travailleurs, afin de redonner du sens au travail. Rappelons que le terme de parole utilisé par l’OCDE ne consiste pas seulement à « donner la parole », aux travailleurs, mais « correspond aux différentes formes de communication institutionnalisées entre travailleurs et managers pour aborder des problèmes collectifs. La parole offre également aux employés la possibilité de résoudre les problèmes émergents sur le lieu de travail grâce à la communication avec la direction ». Le rapport de l’OCDE pointe ainsi les enjeux en termes d’autonomie au travail, de travail d’équipe, d’opportunités d’apprentissage, de soutien par les collègues et les managers, d’objectifs bien définis, de retour d’informations sur le travail effectué, d’auto-évaluation de son propre travail. C’est un droit d’intervention direct des travailleurs sur leur travail et son organisation qui est prôné par l’OCDE ; une pratique de management qui s’inscrit dans une forme de démocratisation du travail. On a vu que la parole uniquement représentée au travers des institutions représentatives du personnel était corrélée avec des situations de travail nettement dégradées, par rapport aux paroles « mixtes et directes ». Comme on vient de le voir, la parole directe des travailleurs ne doit pas être une parole captée, accaparée, utilisée par les représentants du personnel ou les institutions représentatives du personnel à d’autres fins que l’amélioration concrète de la qualité de l’environnement de travail. L’action syndicale, y compris les démarches d’implantation syndicale, ne doivent pas nuire aux dispositifs formels ou informels de parole directe existants, mais au contraire chercher à les renforcer.

Cette double orientation pour un système décentralisé et coordonné de négociations collectives, et pour un développement d’une parole mixte, directe et représentée, devrait être davantage mise en débat au sein de la CFDT.

[1] En anglais et téléchargeable gratuitement.