En quoi le caractère non lucratif de l’activité change-t-il le travail, son management, voire l’entreprise ? Le tiers secteur est un espace aux contours flous entre pilotage par le profit et service public. Toutes les organisations non-lucratives ne sont pas dans l’économie sociale et solidaire (ESS) et il est possible pour des entreprises privées d’être agrémentées « ESS »[1]. Une organisation « non profit » exerce une activité sans distribution à des associés, à des actionnaires, sans enrichissement personnel. Il en ressort donc : le réinvestissement du capital ; le partage de la gouvernance (le pouvoir réside en principe dans l’assemblée générale de ceux qui y travaillent, et non des apporteurs de capital ; la gestion est assurée par des responsables élus) ; les travailleurs peuvent être bénévoles ou salariés.

En dehors des administrations de la fonction publique, les organisations sans but lucratif sont très variées : une association (dont les fondations et les ONG) sur dix emploie des salariés, principalement dans l’humanitaire, le social, la santé, l’enseignement, les services locaux. Elles agissent sur le secteur non marchand mais peuvent avoir une activité commerciale. Avec les entreprises du secteur marchand qui sont sous forme de mutuelles ou de coopératives, elles forment le secteur de l’économie sociale et solidaire (ESS), qui représente plus de 10% de l’emploi salarié.

On peut ajouter les entreprises publiques, notamment les établissements Epic (RATP…), celles qui fournissent un service public (France Télévisions, SNCF…), ainsi que les établissements publics à caractère administratif (Sécurité sociale…). Enfin, la loi Hamon en 2014 ouvre la reconnaissance de ce champ  professionnel. Le but poursuivi ne doit pas être le seul partage des bénéfices, la gouvernance doit être démocratique, notamment.

Le tiers secteur représente le choix d’une gouvernance de l’organisation basée sur une plus grande participation des salariés au projet et à la gestion de l’entreprise, ainsi que la recherche de mécanismes de délibération collectifs. Quelles sont les innovations managériales ? Sont-elles tenables dans les moments durs et des appuis pour traverser les crises ? Le caractère non-lucratif n’échappe pas à une rigueur de gestion, voire à une certaine « managérialisation » pour toujours plus de performance et d’efficacité : en quoi est-ce en tension avec une vision fondée sur l’engagement, la vocation et le militantisme ? Et en quoi ces convictions changent-elles les entreprises commerciales qui cherchent l’agrément ESS ?

Le tiers secteur affirme ainsi la finalité d’une activité centrée sur son utilité sociale. Il suscite l’engagement au travail pour des convictions et des idéaux partagés. En quoi cela change-t-il les liens de travail, y compris hiérarchiques, la loyauté et l’autonomie ? N’y a-t-il pas un risque que l’activité réelle ou perçue soit en décalage avec l’image que porte l’organisation ? Quelle articulation entre les statuts de salariés et de bénévoles, garants de la vocation démocratique et de l’engagement sociétal de la structure ?

Le caractère propre d’intérêt collectif et de la gouvernance confère une légitimité de l’activité de services produite, à l’instar du service public. A tout le moins de nombreuses organisations de l’ESS occupent dans l’espace public un rôle d’intérêt général, l’Etat déléguant plus ou moins officiellement une partie de ses prérogatives. Quelle est l’articulation entre les sphères publiques, politiques et celle du tiers secteur ?
Comment y voir une « société civile organisée » qui joue un rôle dans la cohésion sociale ? L’ampleur de l’épidémie sanitaire dresse l’exigence d’une troisième voie étayée, entre injonctions à la responsabilité individuelle et croyance que l’Etat-Providence pilote par le haut. C’est dans l’articulation des deux que se développe une société capacitante. Les acteurs de l’ESS prouvent l’efficacité économique et sociétale de la solidarité.

[1] Cf. www.economie.gouv.fr/entreprises/agrement-entreprise-solidaire-utilite-sociale-ess