Les enquêtes publiques et syndicales convergent pour souligner que la charge de travail est un problème pour la moitié des salariés qui se disent débordés, surchargés donc, mais également démotivés, voire placardisés. Le terme de « charge » nomme à l’origine ce qui pèse physiologiquement sur l’individu au travail. Une attention médicale, donc, aux conditions de travail dans les usines des années 1970. Plus largement émerge dans cette période une discipline, l’ergonomie, dont l’étymologie révèle une approche de l’activité dans toutes ses richesses, au-delà du labeur et des souffrances. Car travailler sur la charge impose d’aller à la rencontre du travail.

Le contexte d’aujourd’hui se nomme « intensification ». L’attraction servicielle qui domine l’économie n’a pas tout à fait balayé les usines ni allégé le travail physique. Disons que travailler aujourd’hui, ce n’est pas plus facile ou plus dur qu’hier, mais qu’il y a quelque chose de plus dense, de plus embrouillé dans le travail, qui demeure à démêler.

La charge s’est, pourrait-on dire, amplifiée : les salariés doivent travailler au sein d’organisations mobiles, aux organigrammes subtils, se plier aux clients ou usagers, engager leur personne – les fameuses soft skills –, s’articuler avec la pression numérique, le tout en manageant leur propre parcours et leur quotidien de vie... On parle d’une extension à la fois de la prescription et de l’autonomie, d’un travail plus riche au sens où les conditions de sa réalisation sont complexes.

Aller à la rencontre du travail signifie ainsi une identification des gestes effectués et des compétences mobilisées, d’avoir une attention à celui ou celle qui « fait » avec ce qui est prescrit et selon ses propres ressources. Ce faisant, il ne s’agit pas d’explorer l’activité et ses ressorts pour en sortir un indicateur plus ou moins chiffré de ce que pèserait le travail. Il s’agit de faire de l’analyse, de ce travail de démêlage, le moteur du travail. La charge est équilibrée, « raisonnable » dit la loi, à l’interaction de l’activité elle-même (exigences temporelles, contenu du travail…), de l’individu (les efforts cognitifs et physiques qu’il déploie…), des conditions de travail (environnement physique, organisation, statut d’emploi…), ainsi que du hors-travail (santé, famille…)... Voilà qui n’est pas simple.

Le travail doit donc faire l’objet d’une discussion élaborée : ce qui est demandé, le système de contraintes qui s’impose, ce que cela demande au salarié, les arbitrages qu’il effectue, les moyens qu’il développe, l’évaluation qu’il fait de sa propre situation… Le jugement sur le caractère acceptable ou non de la charge est donc lié aux possibilités d’expression et à la qualité des échanges. Bien sûr, la mise en débat de l’activité ne s’impose pas en soi au sein des organisations productives. Une parole sur le travail se construit, se décide, s’institue, sous peine de n’être qu’une parole au travail. L’analyse et l’apprentissage par le travail sont les premiers appuis professionnels : mettre le salarié en situation d’évaluation, analyser comment une organisation fonctionne, définir des objectifs communs, s’accorder sur la qualité des projets et livrables à produire... C’est précisément dans les situations d’apprentissage collectif sur le travail que les salariés puisent des repères, des connaissances, des référentiels de compétences transférables. C’est en démêlant le travail qu’on peut les aider à se situer dans des environnements, à se sentir comme appartenant à leur environnement, à être des acteurs. Une charge équilibrée est avant tout une charge discutée.