Les entreprises ont développé des politiques mixtes de rémunération, caractérisées par l’individualisation des salaires et le développement de parts variables. Celles-ci concernent plus d’un salarié sur trois, notamment des cadres. Augmentation, primes et promotions relèvent cependant de critères qui sont loin d’être toujours clairs, pertinents ou même efficaces aux yeux des salariés. Plus les mesures sont individuelles, moins elles reposent sur des critères objectivables pour tous. Le système est devenu complexe. Dans les grandes entreprises, les négociations collectives doivent s’articuler avec tout un ensemble d’autres délibérations et d’analyses financières tout en prenant en compte les points de vue des managers de proximité. Dans les PME, la multiplication des classifications « maison » a brouillé et limité les références collectives.

Du côté de la fonction publique, les négociations salariales sont au point mort et le point d’indice est bloqué depuis plusieurs années. Le dialogue social est contenu sur la seule partie « primes ». Comme dans le privé, la politique de rémunération y est dominée par la recherche de réduction de la masse salariale, une position nourrie d’analyses globales (l’environnement économique, la dette, le risque déflationniste) plutôt que par l’évaluation de l’activité quotidienne.

Au final, le salarié sait-il combien il vaut ? Il peut se référer à un marché préétabli par les cabinets de consulting et relayé dans la presse grand public. Mais, en interne, il sait qu’un tel système de cotation peut être loin de son travail réel.

Sur le terrain, on observe souvent une disjonction entre la représentation que la direction se fait du système de rémunération et ce qui remonte d’en bas. L’entreprise parle de transparence, d’accompagnement individuel et de rôle des chefs de service. Les salariés parlent eux d’opacité, de manque de discussion et de disparités. Car au-delà de la somme reçue en fin de mois (le salaire direct), principale forme de reconnaissance du travail, rappelons que le premier moteur de la motivation professionnelle est l’intérêt du poste (les responsabilités, l’autonomie professionnelle, le niveau d’expertise…) et les équilibres de vie. Parler rémunération, c’est parler du travail et des conditions de sa réalisation. C’est questionner l’évaluation trop quantitative et l’approche individualisée de la performance. L’enjeu est d’ancrer la politique de rémunération sur des éléments concrets et visibles du travail. C’est, par ricochet, donner des marges de manœuvre aux managers comme aux représentants des salariés. C’est quitter le saupoudrage et l’approche comptable et négocier sur la qualité de la classification, sur la façon de nommer les postes de travail et les compétences à reconnaître.

Ce numéro élude volontairement les enjeux du salaire indirect (les prestations sociales) et du partage des bénéfices (la gouvernance, le niveau de dividendes, les très hauts salaires). Il ne traite pas non plus des inégalités professionnelles. Chez les cadres, l’écart de salaire hommes-femmes s’accentue tout au long de la carrière (sans compter que les femmes sont souvent reléguées après leur maternité dans des emplois les moins bien payés). Il se concentre sur le levier « professionnel » de la politique de rémunération.

Car celle-ci ne doit pas se résumer à un « toujours plus », ni à un vague compromis pour préserver le climat social. Parler rémunération, c’est discuter de la progression de carrière et récompenser la performance globale ou la qualité du service public. Pour les cadres, c’est également la reconnaissance de leur investissement, de leur niveau d’expertise, de formation et de leur disponibilité. C’est faire en sorte, comme le rappelle un auteur de cette revue, que « chacun n’agisse pas que dans le but de valoriser son action personnelle mais s’efforce de s’inscrire dans une démarche qui sied à l’efficacité globale de l’entreprise, qui est conforme au bien-être personnel de chacun et qui réduit les risques psychosociaux ». Le juste prix du travail est celui qui valorise l’activité et pérennise l’entreprise en tant que collectif d’investissements professionnels.