Où en est la négociation sur le stress ?

L’enjeu, rappelons-le, est de décliner en droit français l’accord-cadre européen de 2004. Le mérite du texte négocié par la Confédération européenne des syndicats est de prendre en compte toutes les formes de violence, externes à l’entreprise, mais surtout internes. Il est ainsi reconnu que des facteurs propres à l’entreprise, comme l’organisation du travail, peuvent amener à des comportements individuels de harcèlement. C’est un symbole important. Mais les partenaires sociaux avaient convenu à l’époque de mettre en œuvre cet accord dans les trois ans qui suivent sa signature, et à ce jour l’accord sur le stress au travail n’a toujours pas trouvé sa déclinaison en France. On peut donc avoir des doutes sur l’application concrète d’un accord-cadre similaire, d’autant plus que le texte manque d’éléments normatifs permettant une mise en œuvre efficace.

Pratiquement, la question a d’abord été intégrée à la négociation sur la pénibilité, mais malheureusement celle-ci n’avance pas très vite. C’est pour cette raison que les partenaires sociaux ont décidé de retirer le dossier stress de la négociation, afin de le traiter séparément. À ce jour, on ne sait pas encore si on s’oriente vers une transposition a minima, ou vers une approche qui tenterait de donner plus de chair au texte européen.

La CFDT souhaite que la négociation insiste sur plusieurs points : clarifier ce que sont les risques psychosociaux, pousser à l’implication des IRP, reconnaître plus nettement encore que ne le fait le texte européen le lien entre organisation du travail et santé, et donc pousser les employeurs à travailler en amont. L’un des enjeux, pour nous, est de ne pas cantonner la réponse de l’employeur à la mise en place de cellules d’écoute, de médiation, d’accompagnement individuel, qui peuvent certes être utiles, mais restent des réponses partielles à des problèmes qui se sont déjà posés. L’enjeu principal est la prévention. Le suivi des individus « en souffrance » ne doit pas occulter une interrogation sur l’organisation du travail.

Quelles sont les stratégies de la CFDT sur ce point ?

Il s’agit de contribuer à la construction intellectuelle et politique du problème, en évitant que s’impose une vision technicienne de type « gestion des risques » ou une vision curative de type « accompagnement ». En faisant reconnaître la part de l’organisation du travail, l’enjeu est d’être présents dans la mise à plat des organisations et la construction de solutions. La tendance lourde est en effet de sous-traiter le problème des risques psychosociaux à des experts, notamment parce que cela « fait peur » : aussi bien les employeurs que les organisations syndicales sont démunis sur ces questions.

Or, les experts ont tendance à en rester au constat, quantitatif ou qualitatif, et ceux qui connaissent bien les questions de santé ne connaissent souvent pas grand-chose aux questions d’organisation du travail. Sans pour autant se passer de l’apport des experts, il est donc indispensable d’aller sur ce terrain si l’on veut traiter les problèmes à la source.

La Formation des 100 nous a confortés dans cette approche, en nous montrant qu’il était possible de porter syndicalement les dysfonctionnements de l’organisation du travail, lorsqu’on a fait participer les salariés, en allant les voir et en leur donnant la possibilité de s’exprimer.

Quelles sont les modalités d’intervention des équipes ?

Elles dépendent largement des acteurs que l’on a en face de soi. L’essentiel est de travailler en confiance, ou en tout cas de s’assurer la neutralité de l’employeur. Ensuite, c’est en revenant aux fondamentaux que l’on peut atteindre la source des tensions : marges de manœuvre, autonomie, soutien du collectif, type de compétition et de collaboration entre salariés…

Dans les grandes entreprises, la rapidité du turn over complique la tâche, car les personnes, les responsables, les acteurs ne durent pas et il est donc difficile d’assurer le suivi d’une action. La question particulière de la responsabilité des cadres se heurte ici à leur rythme de rotation sur un poste.

Dans les petites entreprises et notamment les sous-traitants, la difficulté est différente : elle tient notamment à l’absence de marges de manœuvre, à la quasi-impossibilité de « donner du mou » car le tempo est imposé par le donneur d’ordres. De ce côté, il est essentiel pour obtenir des résultats que les salariés du donneur d’ordre s’investissent et soient partie prenante. L’exemple d’Alstom Marine à Saint-Nazaire montre que sur les questions de santé au travail, une collaboration de site est possible.

Des « groupes d’expression directe », une formule qui existe sur le plan juridique mais n’est guère employée en pratique, pourraient-ils être activés, en complément de formes plus individuelles comme le droit d’alerte ?

Il y a des situations d’alerte où ce sont les acteurs extérieurs (médiateur, inspecteur du travail, médecin du travail) qui interviennent. Or, sans négliger l’importance de ces acteurs, la place primordiale de l’organisation syndicale me semble devoir être rappelée dans la mise en œuvre de procédure d’alerte.

Les groupes d’expression directe peuvent avoir du sens : ils permettraient de mettre en débat les dysfonctionnements. Les travailleurs savent mieux que personne de quoi il retourne : toute la question est de mettre en forme ce savoir, de l’organiser, de l’aider à émerger, et une délibération peut être le moyen de cette mise en forme. Mais la formule a ses inconvénients, comme par exemple le risque de dériver, de soulever de vieux conflits et de s’éloigner du sujet. La forme du groupe apparaît alors très importante : un groupe réduit sera mieux à même de mettre de côté les relations interindividuelles qui peuvent masquer ou filtrer le problème.

La formation des cadres et managers, celle des équipes syndicales est sans doute essentielle aussi ?

Oui, et au-delà d’opérations comme la Formation des 100 il nous semble indispensable de mettre l’accent sur l’importance d’une meilleure formation aux conditions de travail. Une idée possible serait ainsi d’intégrer à la formation initiale et à la formation professionnelle continue, notamment pour les cadres, une dimension « conditions de travail ». Mais il est essentiel de veiller au contenu de ces formations : car compte tenu des acteurs de ce secteur, il y a fort à parier que soient mises sur le marché des formations psychologisantes qui négligeront les questions d’organisation du travail. Au-delà de la formation, il existe un besoin d’information, de médiatisation de ces questions, qui permettent la diffusion d’une culture mieux informée au sein du monde du travail.