Dans un code du travail sujet à une prolifération d’ajouts, modifications, suppressions, nouvelles rédactions et tutti quanti, la lettre de l’article L. 122-12, alinéa 2 est restée étonnamment stable. « S’il survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise ». Moins de cinquante mots, une lettre sans modification depuis l’adoption du texte de loi le 19 juillet 1928 mais une jurisprudence qui s'est peu à peu formée allant de revirement en attente de décisions de la Cour de Justice européenne, le tout étant le résultat de combats syndicaux qui, pour la plupart, ont été oubliés ou peut-être sont méconnus.

L’article L. 122-12, alinéa 2 a été créé pour faire obstacle à l’article 1165 du code civil aux termes duquel « les contrats n’ont d’effet qu’entre les parties... ils ne nuisent point aux tiers » (c’est ce que l’on appelle communément « l’effet relatif des contrats ») : en vertu du principe civiliste de « l’autonomie de la volonté » dont l’article 1165 du code civil est un corollaire, l’on ne s’oblige que si on le souhaite. Seule la loi peut obliger celui qui n’a pas consenti.

C'est un texte d'ordre public, c'est-à-dire que les parties (ici les deux employeurs) ne peuvent y déroger, même si elles étaient d'accord.

L'application de l'article

L'article s'applique dans de nombreuses situations :

  • en cas de décès de l'employeur, les contrats de travail sont maintenus vis-à-vis de l'héritier (à moins que ce dernier ne renonce à l'héritage). Le fils qui reprend le garage de son père décédé hérite aussi des mécaniciens et du comptable mais il n'a d'autre d'obligation vis-à-vis de la femme de ménage à domicile que de payer les indemnités de licenciement (au titre du premier alinéa du même article) : l'article L. 122-12 deuxième alinéa ne joue pas dans le cas des employés de maison.
  • en cas de vente, que la cession du fonds de commerce soit totale ou partielle. Ainsi dans un arrêt récent (Cass. Soc. 10/01/95) où était en cause un transfert de clientèle, la Cour met fin à l’hésitation antérieure de la jurisprudence et affirme qu’il n’est pas nécessaire que soient transférés des éléments matériels de l’exploitation pour que l’article L. 122-12 trouve à s’appliquer. Il en est de même en cas de cession du portefeuille d’une agence immobilière (Cass. Soc. 23/09/92) ou d’un agent d’assurances (Cass. Soc. 23/03/94), de la cession de la distribution de la commercialisation de produits (Cass. Soc. 16/11/93)
  • en cas de transformation de la forme de l’exploitation : lorsqu’un entrepreneur personne physique décide d’exploiter son activité sous la forme d’une société, en cas d’apport en société d’un fonds de commerce (Cass. Soc. 10/07/91), en cas de fusion, de création ou de disparition d’une filiale, dans le cas où la société mère reprend l’activité de sa filiale, cette dernière ayant été liquidée (Cass. Soc. 10/10/90). Rien ne s’oppose non plus à la mise en jeu de l’article L. 122-12 alinéa 2 entre deux sociétés appartenant au même groupe. La chambre a même considéré que la filialisation et la commercialisation des produits d’une société était constitutive du transfert d’une entité économique et sociale entre la société et sa filiale. Le concept d’unité économique et sociale ne fait pas obstacle au jeu de l’article L. 122-12 alinéa 2 (arrêt du 16/11/93).

A l’évidence, la modification de la forme juridique d’une entreprise entraîne l’application de L. 122-12 alinéa 2 du code du travail (exemple : la mise en société, le passage d’une EURL en SARL, etc).

Les restructurations industrielles, les « rectifications de frontières » entre groupes (comme la chimie dans les années soixante-dix ou la finance et les entreprises de travail temporaires dans les années quatre-vingt-dix), le recentrage sur le métier de base, conduisent à des transferts d'activités périphériques et l'application en rafale du L. 122-12.

La création d’un GIE (groupement d’intérêt économique) si elle suppose la poursuite par chacun de ses membres de son activité propre, n’implique pas le transfert au groupement des contrats de travail liant ses membres à leur personnel respectif car il n’y a pas transfert d’une entité économique. Mais si une des sociétés voit son activité principale transférée au GIE, le transfert est alors constitutif d’une modification juridique de la société en cause, le L. 122-12 s’applique et les contrats passent au GIE (Cass. Soc. 06/03/85).

L’article L. 122-12 n’a pas à jouer en cas de prise de modification de l’actionnariat, puisque l’entreprise reste la même : « la jurisprudence ne permettant pas de considérer la modification dans la composition du capital comme constitutive d’un changement d’employeur, la prise de participation (même majoritaire) dans le capital d’une société, aussi bien que la prise de contrôle d’une société par une autre sont exclusives de l’application de l’article L. 122-12 alinéa 21 » (Cass. Soc. 19/12/90). La modification du capital social n’a pas d’impact sur les salariés, partie intégrante de la valeur de l’entreprise.

Les spécificités du droit public

N’entrent pas dans le champ d’application de l’article L. 122-12, les situations dans lesquelles une entreprise devient un service administratif chez la personne publique qui en a fait l’acquisition (Cass. Soc. 24/10/89). C’est le cas par exemple de la reprise, par une commune concédante, d’un service municipal industriel et commercial jusqu’alors concédé pour le transformer en service interne. Autres exemples récents de ce principe d’exclusion de l’article L. 122-12 alinéa 2 dans le cadre des spécificités liées au droit public : « lorsqu’un service public administratif disparaît, la reprise de son activité par un organisme de droit privé n’entraîne pas le transfert d’une entité économique conservant son identité propre » (Cass. Soc. 01/12/93). Il en est de même de la reprise d’une activité par une administration en gestion directe par une commune d’un service de distribution d’eau et d’assainissement (Cass. Soc. 10/07/95).

Enfin selon une déclaration ministérielle du 31 mai 1983, les titulaires de marchés de fournitures et de travaux publics doivent rester hors du champ de L. 122-12 alinéa 2. Néanmoins, certains textes conventionnels comportent une obligation de reprise de tout ou partie du personnel, en cas de changement de titulaire de marché public.

Le cas des concessionnaires

Dans le cadre de l'externalisation des activités qui ne sont pas dans le « métier » de l'entreprise, de nombreuses sociétés font appel à des entreprises concessionnaires pour effectuer les travaux de nettoyage, de maintenance, de gardiennage, de restauration collective, etc. Les concessions (nettoyage de X stations de métro ; fabrication de Y repas...) sont périodiquement (tous les trois ans par exemple) remises en jeu, sous forme d'un appel d'offre ou de convention de gré à gré.

La concurrence est intense entre les sociétés de services et elle se fait principalement, sinon uniquement, sur les prix. Quand la société N obtient un marché au détriment de la société A, que va devenir le personnel qu'employait celle-ci ?

Il est souvent plus aisé et plus rentable que A licencie les salariés, quitte à ce que N les réembauche aussitôt sans les avantages que pouvait leur donner leur ancienneté. Ce sont le plus souvent les travailleurs les plus fragiles qui sont les victimes de ces pratiques, devenant périodiquement de « nouveaux embauchés » auxquels les dispositions liées à l'ancienneté prévues par les conventions collectives ou la loi de mensualisation ne sont jamais applicables alors même qu'ils se trouvent accomplir les mêmes tâches sur le même site depuis des années.

Dans la pratique, ce sont des combats syndicaux qui ont imposé ici l'application de L. 122-12. Il ne s'agissait pas alors de finesses jurisprudentielles, mais bien de rapports de force. Ce fut le cas en janvier 1978 pour les travailleurs du nettoyage du métro parisien. Jusqu'alors, lorsque la RATP concédait pour trois ans le nettoyage des stations de métro à des entreprises spécialisées, c'était toujours les mêmes qui répondaient aux appels d'offres mais pas sur les mêmes groupes de stations. A chaque renouvellement de concession, des salariés passaient de l'Est à l'Ouest ou du Nord au Sud, certains n'étaient pas conservés, rares étaient ceux qui pouvaient bénéficier des avantages d'ancienneté prévus par la convention collective. Si un nouveau venu devenait titulaire d'un marché, les ouvriers travaillant avec l'ancien étaient congédiés par celui-ci.

L'action de la CFDT, en imposant la continuation du contrat de travail, obligea les patrons du nettoyage à reprendre les salariés là où ils se trouvaient. L'application de l'article L. 122-12 a fixé les ouvriers sur leur lieu de travail et les a fait bénéficier pour la première fois de primes liées à l'ancienneté.

Jusqu'en 1985, L. 122-12 a été appliqué d'une manière extensive. Seul le lien entre le contrat de travail et l'activité était examiné par les tribunaux. Il importait seulement de déterminer si les emplois dans lesquels étaient occupés les salariés existaient toujours (Cass. Soc. 28/11/79). On se doute que cette jurisprudence ne rencontrait pas l'agrément de tous les employeurs. La Chambre de commerce et d'industrie de Paris notait dans son rapport du 12 février 1981 qu'« l'extension systématique qu'a donnée la jurisprudence au champ d'application de l'article L. 122-12 alinéa 2 a introduit dans notre économie, des contraintes et des blocages qui sont la source d'une rigidité excessive ». Dans un avis rendu le 14 février 1983 la commission de la concurrence observait que la jurisprudence élaborée sur l'article L. 122-12 alinéa 2 du code du travail modérait le jeu de la concurrence. En effet, l'avantage pour une entreprise de changer de concessionnaire d'un marché diminuait dans la mesure où le nouveau concessionnaire devait continuer son activité avec des salariés qui étaient affectés par son prédécesseur au marché qu'il gérait désormais.

Cette remarque est justifiée dans les cas où la qualité de la main-d'œuvre est déterminante, où l'organisation de l'entreprise et la qualification des salariés sont un élément essentiel du choix du concessionnaire. Mais lorsqu'il s'agit de marchands de main-d'œuvre, comme le tout venant des entreprises de nettoyage ou de gardiennage, le seul élément de concurrence est le coût. Le moins-disant est celui qui diminue les salaires, qui ne paie pas de primes d'ancienneté. La concurrence se fait alors au détriment des seuls salariés.

Concurrence et conflit d'intérêt

L'affaire Duquesne et Giral a montré que cette remise en cause patronale pouvait trouver des alliés dans les salariés de l'entreprise adjudicataire.

Le nouveau soumissionnaire d'un marché de maintenance (travaux de voie sur une partie du réseau ferré de la RATP) aurait dû, selon la jurisprudence de l'époque, reprendre les salariés de l'entreprise précédente travaillant sur le chantier.

Le conflit d'intérêt entre les salariés des deux entreprises, dans lequel les employeurs n'étaient pas neutres, a été porté devant les tribunaux.

Après plusieurs mois de procédure, la Cour de Cassation (16 juin 1986) a tranché en faveur de l'entreprise nouvelle adjudicataire et a affirmé qu'il devait exister un lien de droit entre les deux entreprises pour que l'article L. 122-12 alinéa 2 s'applique.

Ce revirement de jurisprudence posait des problèmes aux organisations syndicales attachées à la stabilité de l'emploi mais aussi à certaines des entreprises dont l'activité consiste en l'exécution de marchés régulièrement remis en concurrence qui, en cas de perte nette de marché, ne pouvaient laisser le personnel au concurrent ayant pris le marché et devaient le licencier, avec les coûts correspondants.

Organisations syndicales et employeurs ont donc négocié l'application de l'article. Sont apparus des transferts de contrats par accord contractuel, des accords collectifs dans lesquels les contrats étaient transférés du fait de l'accord des parties garantissant ainsi aux employés travaillant sur certains marchés de services, le maintien de leur emploi en dépit du changement du titulaire desdits marchés. Il s'agit notamment des secteurs de la restauration collective (accord du 26/02/86), du nettoyage des locaux (accord du 23/03/90) et de la manutention ferroviaire (accord du 16/06/87).

L'application volontaire

Dans le cas d'une cession de matériel entre deux sociétés, l'article L. 122-12 alinéa 2 ne s'applique pas mais ces sociétés peuvent convenir d'une application volontaire : les personnels travaillant sur ce matériel sont alors transférés. Ce cas de figure pose quand même un problème philosophique : les salariés ne sont-ils pas considérés en l'espèce comme de simples auxiliaires des équipements, vendus dans le même paquet ? De fait, le juge accepte de telles dispositions entre les entreprises mais refuse qu'elles s'imposent autoritairement au personnel concerné. Le recours volontaire au L. 122-12 doit être accepté par les salariés en question (Cass. Soc. 07/11/89). Le salarié peut refuser à bon droit le transfert volontaire de son contrat de travail, l'employeur doit l'informer pour qu'il puisse exprimer son consentement ou son refus (Cass. Soc. 07/07/88).

La stabilité de l'emploi paraît ainsi être conservée. Mais l'employeur repreneur garde la possibilité de « faire le tri » : les parties qui s’appliquent volontairement l’article L. 122-12 alinéa 2 ont néanmoins la possibilité de s’exonérer de certaines conséquences de cette décision. Les sociétés qui décident du transfert du personnel de l’une à l’autre peuvent stipuler que tous les éléments du contrat ne seront pas repris ou que tous les contrats ne seront pas poursuivis. Ainsi la Cour d’Appel de Paris (21/09/94) affirme : « Lorsqu’un appel d’offre contient une clause selon laquelle « en application de l’article L. 122-12 du code du travail, les nouveaux concessionnaires sont tenus, de reprendre le personnel des anciens concessionnaires » (...) mais lorsque le contrat de concession signé inclut une clause selon laquelle « le preneur fera son affaire (...) de la reprise de l’ensemble du personnel du concessionnaire (...) « susceptible » de bénéficier de l’application de bénéficier de l’application de l’article L. 122- 12", cette dernière clause ne peut s’analyser comme l’engagement du nouveau concessionnaire d’appliquer volontairement et de façon automatique l’article L. 122-12 à tous les salariés de l’ancien concessionnaire, dès lors qu’elle ne vise que le personnel « susceptible » de bénéficier de l’application de ce texte ».

Une décision semblable à propos d’une clause de reprise du personnel rédigée dans les mêmes termes a été prise par la même Cour d’Appel (08/03/95).

La directive européenne

La directive européenne du 14 février 1977 (directive 77/187, JO 5 mars) stipule dans son article premier : « la présente directive est applicable aux transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements, à un autre chef d'entreprise, résultant d'une cession conventionnelle ou d'une fusion ». Elle prévoit le maintien des contrats de travail en cours en cas de changement de direction.

La Cour de Justice européenne, qui estime que cette directive s'applique directement aux Etats-membres, a été saisie d'affaires relatives à l'application de l'article L. 122-12 alinéa 2.

Bien que la Cour de Cassation soit restée à l'écoute des décisions prises par la Cour de Justice européenne, elle continuait à exiger un lien de droit entre les employeurs successifs, ce que ne faisait pas la Cour de Justice européenne. A partir de 1986, une position va être adoptée tant par la Cour de Justice européenne (arrêt du 18 mars 1986, aff. Spijken) que par la jurisprudence nationale (Assemblée Plénière de la Cour de Cassation, un arrêt du 16 mars 1990, Société Nîmoise de Tauromachie).

Désormais, les articles 2 et 3 de la directive du 14 février 1977 du Conseil des communautés européennes et l'article L. 122-12 alinéa 2 s'appliquent même en l'absence d'un lien de droit entre employeurs successifs en cas de transfert d'une entité économique identique et poursuivie.

Lorsque l'entité économique conservant son identité est continuée et son activité reprise par le nouvel employeur, les contrats de travail des salariés affectés à cette activité sont transférés à ce dernier. La Cour de Cassation s'emploie à vérifier dans chaque cas que le juge du fond a procédé aux recherches nécessaires sur l'existence ou l'absence d'un transfert d'entité. La constatation de l'existence de l'entité dépend de circonstances de fait et la Cour de Cassation paraît considérer qu'un transfert d'entité doit s'accompagner du transfert de certains éléments matériels correspondant (ex : affectation d'un personnel, utilisation d'un matériel, de locaux, présence de stocks, d'une clientèle, d'une marque).

Lorsque ce transfert d'entité existe, le contrat de travail se poursuit. On saisit l'importance de la démonstration pour les salariés. C'est ainsi qu'un rayon équipé en vue de la vente au détail de produits de boucherie dans un supermarché peut être considéré comme « une entité économique autonome » (Cass. Soc. 26/09/90). Il y a également transfert d'entité lorsqu'une régie départementale reprend, pour les exploiter, les installations de distribution d'eau d'une commune (Cass. Soc. 3/03/93). Il n'y a pas en revanche transfert d'entité économique autonome ayant conservé son identité lorsque le transport du personnel d'une entreprise, après avoir été confié à une première société, est confié à une seconde qui l'assure avec ses propres véhicules (Cass. Soc. 12/12/90). La Cour de Cassation a précisé dans le dernier arrêt rendu en la matière (Cass. Soc. 13/12/95 : Retk et autres c/Société Sipa) que « sans transferts de moyens d'exploitation permettant de considérer que l'entreprise s'est poursuivie ou est reprise (...) les salariés du nouveau prestataire de services ne peuvent bénéficier des dispositions de l'article L. 122-12 alinéa 2 du code du travail ».

Les conséquences de l’application de l’article L. 122-12 alinéa 2

Le transfert du contrat de travail

Lorsque l’article L. 122-12 alinéa 2 s’applique, la continuation du contrat de travail s’impose aussi bien à l’employeur qu’au salarié (cf. Cass. Soc. 02/11/56, Bulletin Civil IV n° 789).

Cette règle résulte du caractère d’ordre public de cet article.

Si le salarié se refuse à travailler pour le nouvel exploitant, c’est à lui qu’incombe la rupture du contrat de travail (cf. Cass. Soc. 05/11/87, Dalloz 87 Infos Rapides p. 230) « le refus sans motif valable de Mme Pradel de poursuivre le contrat de travail s’analyse en une démission ».

Si le salarié entend continuer à travailler pour son employeur d’origine, ce ne peut être que par la conclusion d’un nouveau contrat (cf. Cass. Soc.16/01/90, Dalloz 90 Infos Rapides p. 29-30).

Seuls les journalistes peuvent invoquer une « clause de conscience » pour considérer leur contrat de travail comme rompu et percevoir des indemnités de rupture lorsqu’une entreprise de presse change de mains.

Pour les autres salariés, le transfert légitime prive de tout droit à indemnité de licenciement ou de préavis au titre d’une prétendue rupture de la situation contractuelle d’origine.

Toutefois, l’indemnité de licenciement est due par le cédant si le salarié avait été embauché par le repreneur, pour un emploi différent de celui objet du transfert. Il s’agit là d’une rupture du contrat initial suivie de la conclusion d’un nouveau contrat de travail (cf. Cass. Soc. 16/12/82, Bulletin Civil V n° 707).

Les composantes du contrat de travail s’imposent au nouvel employeur.

La totalité de l’ancienneté du salarié acquise chez le cédant devra être prise en compte pour tout droit dont l’ouverture ou la portée est subordonnée à une certaine ancienneté du salarié dans l’entreprise quel que soit le texte fondateur de ces droits (convention, accord collectif, décision unilatérale de l’employeur, contrat de travail...).

La qualification antérieure du salarié (cf. Cass. Soc. 05/01/67, Bulletin Civil V n° 7) et les attributions du salarié (cf. Cass. Soc. 09/05/79, Bulletin Civil V n° 390) ainsi que la rémunération (cf. Cours d’Appel Aix-en-Provence 26/10/93, 18e Chambre, Revue Jurisprudence Sociale 1/94 n° 112) sont maintenues.

Les usages en vigueur dans l’entreprise se transmettent au nouvel employeur. Néanmoins, ce dernier peut dénoncer l’usage en respectant un délai suffisant de prévenance pour informer les représentants du personnel et notifier individuellement aux salariés la dénonciation.

Les dispositions de L. 122-12 alinéa 2 étant d’ordre public, la clause de non concurrence contenue dans les contrats de travail des salariés de l’agent commercial ne saurait faire échec au transfert des intéressés (cf. Cours d’Appel Metz 5/07/94 Stolz contre Trepier Revue Jurisprudence Sociale 4/95 n° 467).

La rupture des contrats

La jurisprudence considère comme licites les licenciements que le premier employeur prononce parce qu'il va céder l'entreprise au deuxième qui procédera à des réorganisations mais comme illicites les licenciements destinés à faire échec aux dispositions d'ordre public.

Le licenciement d'une serveuse dont l'emploi sera supprimé car les acquéreurs exploiteront eux mêmes le fonds de commerce est licite (Cass. Soc. 18/03/82), pas le licenciement préventif de salariés dont l'emploi demeure. Mais les salariés abusivement licenciés ne peuvent demander que des dommages et intérêts.

Si le nouvel employeur refuse le transfert, cela s'analyse en un licenciement abusif (Cass. Soc. 26/09/90).

Néanmoins, dans cette situation, le salarié est en droit de renoncer au transfert (cf. Cass Soc 20/10/83, Bulletin Civil V n° 368).

L. 122-14-4 prévoit que lorsqu’un salarié est licencié par le premier employeur et que ce licenciement s’avère être sans cause réelle et sérieuse, les juges ne peuvent pas ordonner la réintégration sans l’accord du nouvel employeur (cf. Cass. Soc. 4/05/84, Bulletin Civil V n° 136).

Les salariés protégés font exception à ce principe. En effet, leur réintégration est de droit et aucun accord n’est nécessaire.

Dans le cas de la continuation avec le nouvel employeur après le licenciement par l’ancien, le licenciement n’est qu’apparent et n’ouvre pas droit aux indemnités consécutives à la rupture.

Le sort des contrats après le transfert

L. 122-12 alinéa 2 assure seulement dans un premier temps le maintien des contrats de travail.

En effet, le nouvel employeur garde son droit de licencier comme son droit de modifier le contrat ultérieurement au transfert (Cass. Soc. 8/03/95, Droit Social 95 p. 508).

La Cour de Cassation dans son arrêt du 6 novembre 1985 (Bulletin Civil V n° 502) indique « l’application de L. 122-12 n’a pas pour effet de rendre immuables les conditions de travail qui subsistent avec le nouvel employeur ».

Les règles applicables au licenciement qui serait prononcé au lendemain du transfert ne présentent aucune spécificité.

Transfert des contrats de travail des salariés protégés

Leur transfert a des incidences sur leur mandat et sur les institutions représentatives.

De ce fait, il est soumis à une procédure particulière qui sera différente selon que le transfert envisagé est partiel ou total.

On définit le transfert total lorsqu’une entreprise ou un établissement passe entièrement sous le contrôle d’une autre entreprise. A contrario, la reprise par une entreprise d’une partie seulement d’un établissement ou d’une entreprise constitue un transfert partiel.

En cas de transfert total de l’activité, aucune procédure particulière n’est mise en œuvre car aucune discrimination ne peut être invoquée.

Le transfert partiel d’activité engendre une procédure particulière destinée à protéger les représentants du personnel.

Tous les salariés protégés concernés doivent faire l’objet d’une autorisation administrative de transfert. L’inspecteur du travail doit en principe essentiellement vérifier si la décision de l’employeur n’a pas un objet discriminatoire. Les motifs d’intérêt général ne peuvent pas être invoqués par l’inspecteur pour refuser le transfert (cf. Conseil d’Etat 20/05/1988, Ministre des affaires sociales contre Société d’exploitation commerciale Goulet-Turpin).

Si la demande d’autorisation intervient après le transfert effectif, il existe deux hypothèses :

  • l’autorisation est accordée : pas de préjudice reconnu,
  • l’autorisation n’est pas accordée : l’employeur est tenu de proposer au salarié un emploi et une rémunération équivalents dans l’entreprise. La preuve du reclassement incombe à l’employeur (cf. L. 412-18 alinéa 7, L. 425-1 alinéa 6, L. 436-1 alinéa 5 du code du travail).

Le refus du reclassement donne lieu à licenciement (cf. Circulaire de la Direction du Travail n° 13 du 25/10/83).

Le non respect de ces formalités entraîne la nullité du licenciement. Le juge des référés peut ordonner la réintégration du salarié sous astreinte.

Les salariés protégés perdent leur mandat sauf s’il y a transfert d’une entité économique autonome ayant conservé son identité (cf. Cass. Soc. 7/10/92, Revue Jurisprudence Sociale 1992, n° 1230).

Les conventions collectives

Lors du transfert du contrat de travail, la convention collective, à laquelle était soumis le premier employeur, va être « mise en cause » (L. 132-8 alinéa 7 du code du travail). Si le nouvel employeur est soumis à une convention collective différente, les avantages de la première convention collective ne sont pas intégrés au contrat de travail, ainsi cette dernière ne sera maintenue en vigueur que pendant une durée d’un an, sauf clauses plus favorables (Cass. Soc. 22/06/93, Bulletin Civil V n° 176) et après délai de préavis de trois mois (L 132.8 alinéa 3). Pendant cette période de survie, les deux conventions collectives s’appliquent simultanément alors même que le cumul d’avantages n’est pas autorisé.

Un accord d’adaptation doit être négocié. Si, à la fin de cette période d’un an, aucun accord n’a été élaboré, les salariés conservent le bénéfice des avantages individuels acquis de l’ancienne convention (L. 132-8 alinéa 6).

L’avantage est considéré comme étant acquis par le salarié si ce dernier en a déjà bénéficié par le passé par opposition au droit virtuel ou éventuel qui n’a pas encore été sollicité. De ce fait, tous les avantages non collectifs par nature et ouverts en cas de rupture de code du travail ne sont pas des avantages acquis (indemnités de préavis, de départ à la retraite, de non concurrence...). Il en est de même pour tous les avantages occasionnels dont le salarié n’a pas antérieurement bénéficié.

Si seule l’entreprise d’origine a une convention collective et en l’absence d’accord d’adaptation, les salariés transférés bénéficieront seuls de la convention collective qui leur était jusqu’alors applicable dans leur entreprise d’origine, puis bénéficieront des avantages individuels qu’ils auront acquis.

La vraie nature du L. 122-12 alinéa 2

L'article L. 122-12 alinéa 2 conduit des salariés de la restauration à changer tous les six mois d'employeur en conservant le même emploi (même contrat, même activité, même lieu). Il amène aussi un ingénieur-produit ou un commercial à être transféré chez le concurrent avec la ligne de produits cédée, faisant litière des discours tenus précédemment sur la culture d'entreprise.

L'un affirmera que « le nom et la politique du siège peuvent bien changer, c'est l'activité locale et la stabilité des acquis qui comptent », l'autre sera humilié d'avoir été « vendu avec l'usine », le troisième découvrira qu'au bout d'un an de transfert il passera de la convention collective de la métallurgie à celle du textile, un autre encore apprendra qu'un cabinet conseil monte un plan complexe pour permettre à l'entreprise désireuse de filialiser ou externaliser une activité périphérique d'échapper au L. 122-12...

Ce n'est pas par hasard que cet article est objet de tant de controverses. Il est protecteur, il rigidifie les situations, il rend le salarié presque propriétaire de son emploi, il permet de vendre les salariés avec les équipements ou de les transférer avec les concessions...

Comme le serf « attaché à la glèbe » assuré de rester sur sa tenure quel que soit le seigneur du moment, le salarié conserve son contrat de travail quel que soit le propriétaire de l'usine ou le concessionnaire du marché.

Reliant plus fortement le salarié à l'activité exercée qu'à l'employeur, le L. 122-12 introduit, sans qu'on y prenne garde, un coin dans la logique du lien de dépendance.

Présentant les deux visages de Janus, l'article L. 122-12 est d'abord un outil. Aux syndicalistes de l'utiliser le plus efficacement possible.