La question n’est pas anodine tant les organisations syndicales et patronales sont divisées à ce sujet. Certains estiment que la fin de l’Agirc et son rapprochement avec l’Arrco signent la fin des cadres. D’autres, au contraire, estiment que le rapprochement des régimes est un processus ancien et que nous avons l’occasion historique de discuter des fondements constitutifs de la responsabilité professionnelle des cadres au plus proche de la réalité de leur travail.

L’histoire des régimes de retraite complémentaire Agirc-Arrco est marquée par un rapprochement qui semble inéluctable et, pour tout dire, logique. La création de l’Association générale des institutions de retraite de cadres (Agirc) en 1947, de l’Union nationale interprofessionnelle de retraite des salariés (Unirs) en 1957, puis de l’Association des régimes de retraite complémentaire (Arrco) en 1961 et, enfin, la généralisation de la retraite complémentaire dans les années soixante-dix montrent que ce processus est ancien. La création du régime unique Arrco en 1999 va parachever ce que nous pouvons appeler le régime de retraite complémentaire des salariés du privé. Les cadres en cotisant sous le plafond de sécurité sociale à l’Arrco et au-dessus à l’Agirc ont lié leur niveau de retraite à ces deux institutions. Même la modification de la signification de l’acronyme Arrco devenu depuis « Association pour le régime complémentaire » signait cette volonté des partenaires sociaux. Force est de constater que pour l’année 2013, la retraite complémentaire d’un cadre est versée à 69 % par l’Arrco et à 31 % par l’Agirc. La retraite complémentaire des cadres, c’est d’abord l’Arrco.

La mécanique est infernale mais il faut pouvoir l’appréhender pour saisir l’intérêt de la réformer. L’ensemble des salariés cotise à l’Arrco et les cadres cotisent à l’Agirc. Schématiquement, l’Agirc intervient comme une sorte de sur-complémentaire du régime géré par l’Arrco. Là où cela se complique, c’est lorsqu’il faut déterminer qui est cadre de qui ne l’est pas. Car si de manière commune, un cadre est un salarié placé dans une responsabilité de management ou d’expertise dont le salaire est supérieur au plafond de sécurité sociale, la réalité est toute autre ! Aujourd’hui, plus du quart des cadres dont le salaire se situe malheureusement au-dessous du plafond de sécurité sociale ne cotise à l’Agirc que de manière déguisée au travers d’un dispositif qui leur octroie 120 points par an, soit une retraite annuelle de moins de 53 euros pour environ 800 euros de cotisations : le dispositif de Garantie minimale de points (GMP). Ainsi, plutôt que de prendre en compte les classifications que les partenaires sociaux ont patiemment négociées, l’Agirc utilise des critères qui sont fondés dans les années cinquante : la fameuse classification Parodi. Or, la Cour de cassation, dans un revirement jurisprudentiel important1, reconnaît que les partenaires sociaux ont toute légitimité de définir les catégories de personnel sous réserve d’objectiver les différences et sans revenir sur le passé. Ne pas en tenir compte serait un quasi-déni de la démocratie sociale.

Une reconnaissance des cadres au travers d’un régime de retraite ?

Dès le début, la CFDT avait estimé que la reconnaissance des ingénieurs et cadres ne devait pas se limiter à leur seul régime de retraite. C’est très réducteur, et quelque peu insultant, de résumer une profession à une institution, si respectable soit-elle. La qualité des organisations syndicales doit se mesurer à leur capacité à défendre leurs ressortissants. La CFE-CGC, historiquement fondatrice - avec le patronat - de l’Agirc, a eu une grande capacité « à produire du statut » sans avoir réellement pesé pour le défendre. Les problèmes de financement de l’Agirc ne datent pas d’hier mais la situation est devenue périlleuse car, sans mesures correctrices, le régime aura épuisé ses réserves en 20182.

Pire, c’est un peu de la cavalerie de trésorerie que les gestionnaires ont instaurée. Ainsi la création en 1988 d’une ressource par le biais de la GMP était venue soulager (un peu) l’équilibre technique de l’Agirc sans résoudre la situation de la rémunération des cadres. On peut même estimer que ce dispositif - que la CFDT refusait - a créé depuis une véritable trappe à précarité pour les cadres. Défendre et réclamer son maintien revient à pérenniser un système qui a contribué à déconnecter classification, responsabilité et/ou expertise et juste niveau de rémunération associé.

Reconnaissance institutionnelle versus identité cadre

La négociation Agirc-Arrco aujourd’hui est le théâtre d’un combat sourd bien éloigné des intérêts des salariés en général et des cadres en particulier. Car deux organisations jouent gros : rien de moins que leur existence. La CFE-CGC, organisation purement catégorielle, est devenue en 2013 la troisième organisation syndicale dans le collège de l’encadrement derrière la CFDT et la CGT. Du côté de cette dernière, la structure des cadres de l’Ugict-CGT a beaucoup de mal à exister dans une confédération où les cadres sont assimilés aux nervis du patronat. CFE-CGC et CGT se rejoignent sur un point : sans Agirc, plus de reconnaissance institutionnelle ! Et sans reconnaissance, comment exister avec un tissu militant anémié et des effectifs d’adhérents faméliques ? Parallèlement, on peut aisément imaginer que le Medef ait le souci de ne pas froisser certaines organisations, en particulier la CFE-CGC avec laquelle il a cogéré l’Agirc pendant près de 70 ans.

Quelle garantie pour les cadres ?

Sauf à imaginer une solution miracle, la situation de l’Agirc sans rapprochement avec l’Arrco aboutira à demander aux cadres des efforts considérables et que nous estimons déraisonnables. Si les bénéficiaires de l’Agirc restent isolés, leur niveau de retraite sera tout simplement condamné, et cela à très bref délai. Ceux qui refusent l’idée de mutualisation doivent proposer un schéma alternatif crédible et apporter au personnel d’encadrement des solutions réalistes et concrètes. Toute autre attitude les qualifierait « d’apprentis sorciers » et se résumerait à une posture demandant aux autres d’assumer leur responsabilité qu’ils ne veulent pas prendre. Une fois encore, nous ne voulons pas condamner les cadres en prétendant sauver l’Agirc. Nous préférons l’avenir des femmes et des hommes à la défense des institutions si elles ne peuvent plus assurer celui-ci.

Rapprocher les régimes reviendrait-il à siphonner les réserves de l’Arrco au profit de l’Agirc ? Cet argument oublie délibérément que les cadres cotisent massivement à l’Arrco (beaucoup plus en moyenne que les non-cadres)… Il occulte les transferts déjà opérés3 qui n’ont jamais soulevé la moindre remarque de ceux qui s’offusquent de ce prétendu « siphonage ». S’il fallait restituer les milliards d’euros déjà prélevés à l’Arrco ces dernières années, cela soulagerait grandement les réserves de l’Arrco, mais les réserves de l’Agirc seraient un lointain souvenir. Cette mutualisation a évidemment une contrepartie : la construction d’un tout nouveau régime de retraite complémentaire, qui assurerait les droits acquis dans les précédents régimes à tous ceux qui y ont cotisé. Il répondrait aux deux premiers engagements pris ensemble dans le relevé de conclusion de la précédente négociation de mars 2013 : « dessiner ce que pourrait être un dispositif de retraite pérenne et efficace pour les salariés et retraités du secteur privé ; identifier les modalités et étapes nécessaires pour y parvenir ».

Notre proposition consisterait à détendre la tension pour les toutes prochaines années, à demander des efforts bien plus raisonnables que ceux qui sont proposés dans le texte patronal, et feraient appel à des mesures équilibrées sollicitant entreprises, actifs et retraités. Puis à définir, à l’horizon 2020 avec un calendrier précis, les modalités de constitution d’un nouveau régime de retraite.

Un des préalables le plus important serait d’apporter à l’encadrement, « ces salariés à part entière, mais pas tout à fait comme les autres », une vraie reconnaissance de leurs fonctions en y intégrant leurs spécificités, y compris sur leur retraite. Nous pourrions y parler des contreparties à l’engagement : responsabilité, technicité, initiative, par exemple. A terme, les affiliés non-cadres et cadres de l’Arrco, tous les salariés du privé, ne seraient ni les victimes, ni les « payeurs » mais bénéficieraient des garanties d’un régime rénové avec des règles de gouvernance assurant à terme sa viabilité. C’est important pour eux et c’est important pour le pays. Il est essentiel de se mobiliser pour donner l’envie de s’engager, de prendre des responsabilités ou se former pour acquérir ou développer ses compétences. Protégeons la fonction cadres autant que nos régimes de retraite.

1 : Arrêt n°120 (13-22.179) de la chambre sociale du 27 janvier 2015.

2 : Soit quelques 6,7 milliards d’euros au 31 décembre 2014 en valeur de marché.

3 : En 2014, l’Agirc a reçu de l’Arrco plus d’un milliard d’euros au titre de la solidarité entre les deux régimes.