Construire un pacte civique de solidarité pour élaborer un nouveau mode de développement. Tel est le projet que nous propose Jean-Baptiste de Foucauld pour orienter nos sociétés vers le plein emploi et leur redonner un nouveau souffle.

Dans ce livre, l’auteur, comme il l’avait déjà fait dans de précédents ouvrages, s’interroge sur le sens à donner à nos sociétés occidentales. Arrivées au bout d’une impasse, elles sont confrontées à une crise systémique qui vient de loin et qu’il faudra nécessairement résoudre pour survivre.

L’auteur énumère en réalité cinq grandes crises. La première est une crise du sens, à la fois collective et individuelle, due à la perte de légitimité des grands systèmes symboliques, tel le communisme, qui s’étaient efforcés en leur temps de donner signification à l’existence humaine.

La deuxième est une crise sociale, liée à la hausse des inégalités et du chômage de masse et de longue durée.

Cette crise pose également pour l’auteur la question du rythme du fonctionnement social : le fossé s’est creusé entre ceux qui sont sommés d’aller toujours plus vite et les autres, qui ne savent pas comment et dans quelle direction aller.

La troisième est une crise financière. C’est la plus récente et c’est elle qui a déclenché la crise de grande ampleur que nous connaissons depuis deux ans.

La quatrième est une crise économique, conséquence de la crise financière qui s’est traduite immédiatement par l’accélération des crises énumérées ci-dessus.

La dernière est une crise écologique. « Comment la vie économique, la vie en société, les institutions sociales vont-elles s’adapter, se rénover, pour faire face à la nouvelle donne écologique, qui est à la fois une menace et une opportunité pour vivre mieux ? Quelle sagesse économique et sociale va nous permettre de prendre appui sur les difficultés actuelles, non seulement pour les surmonter, mais pour requalifier le niveau de notre vivre ensemble démocratique endommagé, trouver un nouveau souffle et un nouvel élan ? »

C’est pour répondre à toutes ces questions et résoudre ces crises que l’auteur nous propose de nous engager dans une société ordonnée autour du pacte de l’abondance frugale.

Donner un nouvel élan à nos sociétés, c’est d’abord chercher les causes de l’écart croissant qui s’est installé au fil des années entre les désirs matériels et les moyens de les satisfaire. Depuis 50 ans s’est mis en place un formidable processus d’autolégitimation du désir et progressivement de la satisfaction la plus immédiate de celui-ci. La satisfaction du désir est devenue normale et légitime, et c’est l’insatisfaction qui choque désormais.

Le problème, pour l’auteur, est que ce processus de satisfaction des désirs n’est pas maîtrisé, ce qui conduit à confondre légitimation et illimitation.

Et c’est précisément là que le bât blesse, car cette illimitation se heurte à l’insuffisance des moyens disponibles. Elle ne peut satisfaire que les plus riches, au risque de les aliéner, et ne peut que frustrer les classes moyennes. Quant aux plus pauvres, elle peut seulement les conduire à un risque accru d’exclusion.

Or, si la structure même de la société ne change pas, il n’y a aucune chance que cette course infinie de satisfaction des désirs matériels ne s’arrête.

Pour résoudre ces problèmes de satisfaction des désirs matériels, Jean-Baptiste de Foucauld propose de redéfinir la notion de solidarité au sein de la société. « La solidarité (doit passer) désormais par la résorption des désirs exagérés, c’est-à-dire par une frugalité assumée, partagée, équitable, c’est-à-dire proportionnée aux excès de chacun. En un mot, nous allons devoir pratiquer l’économie du désir, au sens d’économiser le désir, et de le concentrer sur l’essentiel. ».

Atteindre cette frugalité assumée n’est pas chose facile on s’en doute. Pour y parvenir, il ne s’agit en aucun cas de remettre en cause le désir d’abondance, mais de le rééquilibrer en étant en mesure de hiérarchiser ses désirs, de distinguer le fondamental de l’accessoire et de rendre égal le droit égal au désir légitime de chacun.

Pour parvenir à cet objectif, il faut d’abord accepter de ne plus faire de la hausse du pouvoir d’achat la seule condition du progrès social, car elle a des contreparties très lourdes, de la hausse de la productivité des salariés aux licenciements.

Il faut se demander ce qu’on attend vraiment du travail.

Doit-il apporter le mieux-être ou le plus-être. Voulons-nous plus de qualité ou de quantité ? C’est en répondant à ces questions que l’on pourra mettre en place un nouveau « pacte civique » accepté par tous les individus et les corps constitués de la société.

Dans ce nouveau pacte civique, l’économie serait remise à sa place. Elle resterait au service des hommes, et non le contraire, comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui.

L’homme, nous dit Jean-Baptiste de Foucauld, a trois besoins fondamentaux, articulés autour de trois temps de vie concurrents. Les besoins matériels doivent être satisfaits par l’effort de production.

Ce temps productif est aujourd’hui soit dévorant pour ceux qui travaillent, soit cruellement absent pour tous les exclus. Les besoins relationnels concernent la famille, les amis, la vie associative…Les activités ne sont alors pas rémunérées par de l’argent, mais elles lient les personnes entre elles par tout un jeu de services rendus. Les besoins spirituels, enfin, entrent dans un temps beaucoup plus personnel. C’est le temps de l’expérience spirituelle ou religieuse et de l’expérience artistique par exemple.

Nos sociétés n’offrent pas un équilibre correct entre ces trois besoins, ces trois temps. Et c’est sans doute une raison du mal être qui semble inhérent à nos sociétés riches et développées. La faute sans doute au temps productif, dont la durée est trop mal cadrée.

Pour remédier à ce déséquilibre, il faudrait adopter un droit au travail « à temps choisi », c’est à dire, contre une baisse de revenus, et pour ceux qui peuvent se le permettre il est vrai, une possibilité de travailler moins pour donner plus d’espace aux autres temps de la vie et ainsi créer des emplois, ce qui permettrait de retrouver une société de plein emploi.

Promouvoir l’abondance frugale, c’est ainsi chercher à réduire les inégalités sociales les plus criantes en permettant aux plus démunis de vivre dans des conditions décentes, de leur donner un droit à l’abondance et de réfléchir à la notion de frugalités, en réalisant un travail personnel de connaissance de ses vrais besoins, afin de détacher l’essentiel du superflu.

Ainsi, dit Jean-Baptiste de Foucauld, « si l’abondance frugale consiste à établir un filtre permettant de séparer l’essentiel du superflu, c’est bien parce que ce dernier constitue un prélèvement inutile, ou irrationnel sur des biens qui seraient nécessaires à autrui, ou sur les ressources naturelles non aisément reproductibles ».

Choisir de construire une société de l’abondance frugale, c’est donc essayer aussi de reconstituer de grands équilibres collectifs en donnant plus de place dans nos sociétés à l’échange et au don par rapport à la logique dominante de la puissance et de l’argent.

C’est essayer de rééquilibrer la place respective du travail et du capital. C’est enfin favoriser le développement des temps d’activité conviviaux par rapport aux temps productifs stricto sensu, en élargissant la gamme des choix individuels collectivement organisés.

C’est finalement civiliser le capitalisme en remettant l’argent et la finance à leur place et en donnant plus de place à l’économie sociale et solidaire.

Ce livre s’inscrit dans toute la réflexion actuelle autour de la notion de régulation. Il tente de donner une solution pour remettre l’économie à sa place, c’est à dire au service de l’homme.

Et c’est un de ses grands atouts de chercher des réponses autres que strictement financières ou juridiques.

Mais il ne résout pas tous les problèmes.

Ce livre reste notamment assez flou sur la mise en œuvre de ce nouveau pacte de solidarité. Comment parvenir à un consensus autour de ce nouveau mode de civilisation ? Comment l’appliquer ensuite ?

Il flotte sur « L’abondance frugale » comme un esprit franciscain, un souffle utopique où les plus riches se libéreraient du superflu matériel pour donner aux plus pauvres.

Mais à l’heure où les intérêts individuels sont prédominants, il est difficile de proposer des modèles sociaux et économiques qui reposent surtout sur les bonnes volontés individuelles. C’est peut-être une limite de ce livre.

Le directeur de la publication, Jean-Paul Bouchet Achevé d’imprimer sur les presses de l’imprimerie L’Artésienne à Liévin (62)