L’expression « dialogue social » n’a pas toujours eu cours, singulièrement dans le champ de la recherche en sciences sociales. Longtemps, la sociologie a privilégié en France sous l’influence de Georges Friedmann ce que l’on appelait les « relations industrielles » et, plus tard, les « relations professionnelles » avec Jean-Daniel Reynaud. L’évolution lexicale n’est jamais neutre et traduit un certain regard tant sur les procédures que sur les relations entre acteurs. Un groupe de chercheurs appartenant pour l’essentiel aux sciences de gestion a fait le choix, tout en reconnaissant qu’il s’agit d’un « concept flou », de reprendre le vocable « dialogue social » et d’en cerner quelques caractéristiques en prenant le parti d’une « analyse organisationnelle ». À leurs yeux, la dimension organisationnelle a longtemps été ignorée dans les relations sociales au profit de lectures économique, juridique ou politique.

On peut retenir deux partis pris dans ce livre. Le premier a trait au niveau d’analyse. Alors que la tendance ces dernières années a été de ne retenir comme niveau pertinent que la seule entreprise, les auteurs tiennent à ne pas en rester à ce niveau micro. Qu’il s’agisse de penser le rapport entre conflit et coopération, la régulation des relations de travail, les restructurations d’entreprises ou la place des acteurs sociaux, ils optent pour un niveau méso d’analyse. En tenant compte des complexités et ambivalences locales, une focale plus large leur semble à même de produire des connaissances utiles aux acteurs de terrain. Il y a dans ce livre l’écho tout à fait intéressant de recherches en cours sur le rapport entre dialogue social et dialogue professionnel, sur la place du dialogue dans les restructurations ou encore sur l’évolution des relations sociales dans la période pandémique. S’agissant des acteurs, deux recherches retiennent l’attention. L’une sur les tensions que vivent les administrateurs salariés en raison du caractère très codé des CA et d’une distance vis-à-vis de leurs organisations syndicales de rattachement, l’autre sur les DRH et l’influence sous-estimée de leurs émotions dans la conduite des PSE.

Le second parti pris du livre est de valoriser l’apport des sciences de gestion. Longtemps, elles n’ont pas été en première ligne dans ce champ de recherche occupé le plus souvent par des sociologues, voire des juristes. Les reconfigurations de la scène sociale sous l’effet des transformations du travail, des réformes multiples sous l’impulsion du politique et du repositionnement des acteurs patronaux comme syndicaux appellent un besoin renouvelé de connaissances. Les sciences de gestion apportent une dimension compréhensive utile que le livre illustre bien, mais l’on sent en même temps combien une approche pluridisciplinaire est nécessaire. Les auteurs en sont d’ailleurs conscients quand ils jettent des ponts que ce soit avec la sociologie ou le droit. Si, comme ils semblent le penser, le dialogue social est en train de devenir un « nouvel esprit » des relations professionnelles, alors on aura à tout le moins besoin de regards croisés pour en penser les formes et les enjeux. Un peu à l’image de ce qui s’est fait à partir des années 1970 quand, autour de Jean-Daniel Reynaud notamment, un groupement de recherche a permis de faire tomber des murs disciplinaires et académiques[1]. Autre temps certes, mais l’enjeu est au moins aussi important aujourd’hui. Il est prometteur de voir sociologues et gestionnaires se retrouver dans des journées d’étude conçues en commun. La dernière en date a eu lieu en mars 2022 sur le thème des « pratiques managériales du dialogue social ». À suivre.

[1] Michel Lallement, « Genèse d’un champ de recherche sur les relations professionnelles en France », Nouvelle revue du travail, no 21, 2022.