Dans des essais dont la phraséologie clinquante ne s’embarrasse guère des faits, de prétendus philosophes, s’emparant du mythe Internet, ont célébré l’avènement d’un nouvel âge de la communication qui se substituerait à celui qu’inaugura Gutenberg voici plus de cinq cents ans. L’approche du cyberespace proposée par Serge Guérin dans cet ouvrage est toute autre : moins spectaculaire mais plus rigoureuse et surtout mieux documentée. Choisissant la presse et l’écrit comme champ d’investigation, l’auteur montre que paradoxalement ces supports d’information traditionnels, prétendument détrônés par les possibilités du multimédia, témoignent d’une grande pugnacité dans l’appropriation des innovations technologiques proposées par Internet, afin de conserver leur emprise sur l’espace public de la communication et de l’imaginaire.

A l’appui de cette thèse, l’ouvrage dresse un inventaire des supports électroniques proposés par la galaxie Gutenberg. Selon l’auteur, les supports en ligne contribuent au renouveau de l’écrit. Mais la presse et le livre adoptent deux postures distinctes. Dans la bataille des contenus engagés sur les réseaux de communication, la cyberpresse se positionne en contributeur à part entière, générant de nouvelles approches du journalisme. Le livre s’affiche plus en position d’expérimentation et de veille technologique, dans une situation où les modalités pratiques de rétribution du droit d’auteur constituent l’élément-clé d’une économie de l’édition électronique. De fait, le corpus législatif existant sur la protection des œuvres de l’esprit bénéficie d’une longue tradition et les cadres juridiques adoptés ont prouvé leur adaptabilité. Seule, souligne Pierre Guérin, semble faire défaut la manifestation d’une volonté politique pour que soient promues au plan international des normes dont l’approbation conditionne le développement de l’édition électronique.

L’écrit, encore et toujours, telle est donc la conclusion d’un ouvrage de qualité dont on se prend à regretter qu’il n’étudie pas davantage la dynamique de concentration du secteur de la communication marchande, ses conséquences sur la réalité de l’offre d’information, et la perte du sens qu’elle impose. Affaire à suivre...