Les discussions relatives à la maladie d’Alzheimer et au sens large à la dépendance soulignent de plus en plus la nécessité de trouver rapidement une solution aussi bien médicale que sociale. Les hommes/ femmes politiques sont plus ou moins conscients du problème mais la volonté de faire véritablement face à cette situation est conditionnée par de nombreux facteurs. Les nombreuses années depuis lesquelles ce problème figure sur l’agenda des responsables montre sa complexité et le manque de volonté de prendre de véritables décisions.

En tout état de cause, les politiques ne peuvent plus dire qu’ils n’étaient pas suffisamment avertis. Le vieillissement des populations en Europe, qui n’est pas le seul responsable de la dépendance, est bien connu et les progrès dans le domaine de la recherche médicale, notamment dans le domaine de la maladie d’Alzheimer, sont relativement faibles.

Depuis plus de vingt ans, au niveau international, le Conseil de l’Europe, l’organisation des 47 pays européens siégeant à Strasbourg, se préoccupe d’une manière de plus en plus insistante du problème de la dépendance au sens large du terme, problème qui concerne aussi les personnes âgées.

Dans le cadre d’un colloque, tenu en 1991 et traitant des « prestations de vieillesse et de santé : leur impact sur le financement actuel et futur de la sécurité sociale », un thème spécifique a été traité concernant les services médico-sociaux pour personnes âgées avec une référence particulière aux personnes âgées dépendantes. Ce colloque a permis à Catherine Lalumière, alors Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe, de préconiser la création d’une dixième branche de Sécurité sociale portant sur la dépendance, qu’elle soit liée à la vieillesse, la maladie, la pauvreté, un handicap, etc...

Les neuf branches actuelles

Bien que le système français de Sécurité sociale ne comprenne que quatre branches, la classification internationale, à laquelle Madame Lalumière faisait allusion, et telle qu’elle figure dans la Convention n°102 de l’OIT concernant la Sécurité sociale (norme minimum) ou dans le Code européen de Sécurité sociale, de son Protocole ou du Code (révisé) du Conseil de l’Europe en énumère neuf, à savoir : soins médicaux, indemnités de maladie, prestations de chômage, prestation de vieillesse, prestation en cas d’accident de travail et de maladies professionnelles, prestations aux familles, prestation de maternité d’invalidité ou de survivants. A ces neuf branches elle voulait ajouter la dixième, celle de la dépendance.

Dans la prolongation des idées discutées au cours de ce colloque, une conférence des Ministres européens responsables de la Sécurité sociale organisée par le Conseil de l’Europe s’est tenue au mois de mai 1995 à Lisbonne. Les ministres ou leurs représentants, de plus de 30 Etats, ont participé à cette conférence et ont traité du problème de la dépendance et de la Sécurité sociale. Le communique final de la Conférence souligne que les personnes dépendantes, c’est-à-dire des « personnes nécessitant, pour des raisons liées à la perte d’autonomie physique, psychique ou intellectuel, une aide importante, afin de satisfaire des besoins résultant de l’accomplissement des actes courants de la vie » doivent se voir offrir « une protection sociale par les moyens appropriés » qui leur garantit la dignité en préservant et en favorisant leur autonomie. A cette époque déjà, les ministres ont estimé, entre autres, nécessaire « de développer les services spécialisés et les institutions », de mettre l’accent sur le maintien à domicile avec tout ce que cela implique et d’optimiser le nombre d’établissements pour accueillir les personnes dépendantes lorsque le maintien à domicile n’est plus possible, d’améliorer la situation des aidants et de promouvoir des mesures de prévention de la dépendance.

Les recommandations de l’Europe sur la dépendance

Suite à cette conférence, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a adopté en 1998 une Recommandation relative à la dépendance et l’a adressée aux gouvernements des Etats membres. Le Comité des ministres recommande notamment aux gouvernements la sensibilisation de l’opinion publique à la problématique de la dépendance. Il préconise aussi des mesures politiques concernant, entre autres, les prestations, la liberté de choix des personnes dépendantes, la prévention et la réadaptation, l’évaluation des besoins de la personne dépendante, la priorité du maintien à domicile, la garantie de la qualité des soins et la recherche. Des principes sont également formulés en faveur des aidants sans statut professionnel.

En effet, la situation des aidants sans statut professionnel joue un rôle fondamental dans le cadre du personnel s’occupant des personnes dépendantes. Déjà en 1991, il y a donc plus de vingt ans, le Conseil de l’Europe s’est préoccupé d’un aspect spécifique de cette catégorie de personnes et a adopté une recommandation relative à la Sécurité sociale des travailleurs sans statut professionnel (les aidants, les personnes au foyer ayant des responsabilités familiales et les personnes bénévoles).

Un aspect de cette recommandation vise spécifiquement « les personnes au foyer qui se consacrent dans le cadre familial à l’éducation des jeunes enfants, ou aux soins de personnes dépendantes handicapées ou âgées ». Il est recommandé que « toutes les personnes visées devraient être protégées par les branches maladie-maternité (prestations en nature), prestations d’invalidité et de vieillesse, et prestations familiales ». Enfin, certaines spécificités, comme par exemple les périodes de travail à temps partiel, devraient être considérées comme des périodes de travail à temps plein. Le montant des prestations mentionnées devrait notamment correspondre aux normes du Code européen de Sécurité sociale (révisé), traité qui fixe des normes a minima en matière de Sécurité sociale. La question des modalités de financement prévues pour ces prestations est relativement souple et la recommandation prévoit un financement en provenance, soit des cotisations des intéressés en tenant compte de leur capacité financière, soit de l’ensemble des assurés, soit de l’impôt, soit enfin d’une combinaison de ces systèmes.

En tout état de cause, cette proposition de financement permet de trouver une solution en tenant compte de toutes les sensibilités politiques et peut être adaptée à la situation budgétaire des divers pays. Il est même permis de s’imaginer un financement grâce à une rationalisation optimale de tout le système national de la protection sociale qui permettrait de réaliser des économies.

Garantir la dignité humaine

La mise en œuvre des mesures mentionnées dans les instruments indiqués ci-dessus (dans le cadre de la création de postes pour aider les personnes dépendantes et notamment dans le cadre d’une nouvelle protection sociale en faveur des aidants) pourrait avoir des effets positifs sur le marché du travail.

En effet, au moins en théorie et ensuite en pratique, on pourrait imaginer que, lorsque le revenu d’une personne dans un couple atteint un certain niveau, considéré comme suffisant par le couple, l’autre membre du couple se retire – partiellement ou totalement – du marché du travail pour effectuer une activité bénévole – dans le cas d’espèce – en faveur des personnes dépendantes (au sein de leur famille ou ailleurs). Il est évident que pendant cette activité bénévole, la protection sociale et notamment la protection dans le cadre des prestations de vieillesse serait maintenue et adaptée. Les emplois devenus ainsi vacants grâce à des personnes mettant en action un véritable sens de la responsabilité sociale, pourraient être occupés, sous certaines conditions et notamment d’une politique du marché de travail appropriées, par des personnes à la recherche d’un emploi. Bien entendu, cela exigerait aussi au préalable l’existence de certaines conditions, notamment le respect de l’égalité de salaires entre hommes et femmes et reposerait également sur la stabilité du couple.

Bien entendu, dans le cadre de toutes les mesures prise en matière de Sécurité sociale en relation avec la dépendance il faut garder à l’esprit la coordination de ces législations dans le cadre des dispositions communautaires et des répercussions positives qui pourraient en résulter.

Si l’on veut ajouter à ces réflexions qui pourraient être d’une utilité certaine pour les responsables politiques des suggestions concernant la protection sociale des personnes âgées au sens large du terme et dont les politiques pourraient également s’inspirer, il faudrait lire la Charte sociale européenne (révisée). L’article 23 de ce traité, accepté par la France, est consacré au « droit des personnes âgées à une protection sociale ». Les parties qui acceptent cet article devraient « s’engager à prendre ou à promouvoir soit directement, soit en coopération avec des organismes publics ou privés des mesures appropriées tendant notamment » à permettre aux personnes âgées de demeurer des membres à part de la société ; de choisir librement leur mode de vie et lorsqu’elles sont en institution, de garantir l’assistance appropriée dans le respect de la vie privée.

En conclusion, un système de Sécurité sociale bien conçu ne constitue pas seulement « la première ligne de défense contre la pauvreté », mais est aussi un élément essentiel de la garantie de la dignité humaine des personnes en général et des personnes dépendantes en particulier. Un tel système de sécurité sociale devrait aussi prévoir une protection adéquate en faveur des personnes qui s’occupent à titre bénévole des personnes dépendantes. Le Conseil de l’Europe a fait des propositions depuis des années. Espérons qu’elles soient mises en œuvre un jour.