Du point de vue social, elle protège les populations tant des risques de la vie que lors d’événements positifs ; du point de vue politique, c’est le choix de concevoir et mettre en œuvre des solidarités quant à ces risques et événements ; du point de vue économique, la sécurité sociale redistribue entre 20 et 30 % du PIB avec tout ce que cela comporte comme conséquences, et du point de vue culturel, la Sécurité sociale appartient à un « modèle européen » de société. A tout ceci s’ajoute – et ceci est la spécificité du livre – la dimension juridique de la Sécurité sociale, à savoir les aspects de droit national, international et européen. C’est pourquoi les auteurs traitent : des éléments autour du concept de Sécurité sociale ; les droits nationaux, sources principales de la Sécurité sociale en Europe ; le droit international de la Sécurité sociale ; un guide pour les Etats et un lien entre les systèmes ; le droit social de l’Union européenne et la Suisse face au droit social de l’Union européenne.

Pour faciliter la lecture et dans un souci de cohérence, l’introduction contient des définitions relatives à l’assurance sociale ; la Sécurité sociale (pour laquelle la définition classique avec référence aux neuf éventualités est indiquée ainsi que la définition fonctionnelle selon laquelle la Sécurité sociale a pour mission ‘de garantir l’accès aux soins de santé, des ressources de base, un revenu de remplacement, l’insertion et la réinsertion sociale et professionnelle’) ; l’universalité et la généralisation ; la protection sociale (qui correspond au sens étroit à la Sécurité sociale et au sens large à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs) ; l’assistance sociale (qui, selon les ordres juridiques et les théories, fait partie ou non de la Sécurité sociale) ; l’harmonisation et la convergence (notions qui ont été fortement discutées il y a encore quelques années et qui trouvent leur origine dans les travaux de l’OIT, du Conseil de l’Europe et de la Communauté et qui ont, à mon avis, leur importance dans le cadre de la création d’un espace socio-économique européen) etc.

La première partie rappelle à juste titre que la Sécurité sociale est « conçue, discutée, adoptée et appliquée avant tout à l’échelon national » et que « les Etats tiennent à rester maîtres de ce dossier, même si celui-ci est influencé par le droit international et le droit communautaire ». Elle analyse brièvement des modèles historiques fondamentaux (l’assurance sociale de Bismarck, le Plan Beveridge, le modèle nordique) avant d’aborder la fameuse question du modèle européen de Sécurité sociale et d’envisager l’évolution grandissante des besoins de protection liées notamment au risque de la dépendance, aux pensions de vieillesse, à l’évolution des structures familiales, aux mutations économiques au sens large du terme, etc.

La dimension internationale

La deuxième partie est consacrée au droit international de la Sécurité sociale. Cette partie est d’une importance capitale car par rapport au droit européen, ce droit est relativement peu connu car trop souvent peu ou incomplètement traité dans les publications en matière de Sécurité sociale.

Le droit international de la Sécurité sociale est généralement préparé dans le cadre d’organisations internationales qui ont une compétence en la matière et qui assurent le suivi ; les textes préparés sont juridiquement contraignant ou non (parmi les premiers figurent les conventions, chartes, codes etc. et parmi les seconds essentiellement les recommandations/résolutions). Ces textes peuvent viser une convergence (concept très souple et non contraignant), l’harmonisation (dans le cadre d’instruments normatifs), la coordination des systèmes de Sécurité sociale et d’aspects spécifiques.

L’auteur, après avoir rappelé les textes constitutifs (des Nations Unies, de l’Organisation internationale du travail et du Conseil de l’Europe), les textes de principes adoptés par ces organisations et les stratégies suivies, analyse l’harmonisation et la convergence en matière de Sécurité sociale à travers les instruments de ces organisations internationales à vocation mondiale (Nations Unies, Organisation internationale du travail) ou régionale (Conseil de l’Europe).

Le texte traite avec une rare compétence les travaux de cette dernière organisation et contribue à éviter une confusion souvent faite avec l’Union européenne. Par le biais de ses instruments (Charte sociale européenne, Charte révisée, Code européen de Sécurité sociale et son protocole, Code révisé, Convention européenne de Sécurité sociale et son Accord complémentaire, les recommandations/résolutions pour des questions spécifiques etc.), le Conseil de l’Europe qui comporte actuellement 46 Etats membres participe à la création de l’espace socio-économique d’une grande Europe. L’auteur souligne notamment : « actuellement, l’utilité du Code et de son Protocole est double : d’une part, ces instruments jouent le rôle d’un « garde-fou » à l’égard de projets qui pourraient viser le démantèlement d’un système, cela surtout sur un plan politique (les Etat n’aiment pas que l’on constate de leur part des violations du droit international) ; d’autre part, il peuvent guider les Etats en transition qui sont à la recherche de nouvelles solutions en matière de protection sociale ». Dans ce contexte on peut à juste titre se poser la question de savoir pourquoi les organisations syndicales ne se réfèrent pas plus souvent à ces instruments dans le cadre de leurs négociations.

Le deuxième mérite est d’avoir également fait référence à la Convention européenne des droits de l’homme ; bien que cette convention – le pilier par excellence des instruments du Conseil de l’Europe – adoptée déjà en 1950 et entrée en vigueur en 1953, porte sur les droits civils et politiques et qu’aucun droit en matière de Sécurité sociale n’y soit directement mentionné de même que pour les droits sociaux de façon plus générale. Toutefois divers droits en matière de Sécurité sociale entrent en réalité « par ricochet » dans le champ d’application de la Convention par le biais de la protection des droits suivants : le droit à la vie, l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants, l’interdiction de la discrimination, le droit à la protection de la propriété etc. De nombreux arrêts de la Cour ont été adoptés qui peuvent en témoigner. Dans ce contexte, il faudrait évoquer aussi le contrôle de l’exécution des arrêts de Cour européenne des droits de l’homme par le Comité des Ministres et les suites données par les Etats membres aux arrêts les concernant.

Les instruments des organisations mentionnées ci-dessus en matière de coordination partent du fait que les législations nationales sont considérées comme des données et que les problèmes à résoudre concernent les inégalités de traitement qui peuvent frapper un étranger par rapport au national de l’Etat compétent et les situations qui excèdent le territoire et la compétence d’un Etat. Le lecteur se familiarise ainsi avec les aspects à prendre en considération et les instruments élaborés par les diverses organisations. On se rend vite compte que les instruments juridiques ne sont contraignants qu’après avoir été ratifiés par l’Etat membre ou – si c’est prévu – par un Etat non membre. C’est pourquoi, en ce qui concerne la coordination et du point de vue de l’aspect juridique et de l’implication directe pour le travailleur migrant, la lecture de la troisième partie consacrée au droit social de l’Union européenne devient particulièrement intéressante.

Contrairement à l’intitulé de l’introduction et de la première et deuxième partie, la notion de « Sécurité sociale » est remplacée dans cette partie par « le droit social » et l’auteur traite de façon très documentée et très clairement structurée les divers aspects et composants du droit social de l’Union qui comprend, bien entendu, la Sécurité sociale.

Le droit du travail européen insiste notamment sur l’égalité entre hommes et femmes, mais l’axe le plus intéressant est son articulation avec le droit de la concurrence. Dans une Union définie par la libre circulation des personnes et des services, la coordination des régimes nationaux de Sécurité sociale est un enjeu majeur.

Mais la coordination n’est pas seulement horizontale, ici, elle est aussi impulsée par les institutions européennes. L’originalité de la Communauté européenne tient en effet à ce que ses institutions sont dotées de compétences législatives. Elle peut ainsi poursuivre ses objectifs, y compris les buts sociaux, en adoptant des actes qui sont généralement obligatoires et, pour certains directement applicables dans les Etats membres. Le droit social est ainsi un des principes structurants de l’Union, qui est à la fois un enjeu et un outil dans la définition et la mise en œuvre des relations extérieures et notamment commerciales.

Bettina Kahil-Wolff & Pierre-Yves Greber. Sécurité sociale : aspects de droit national, international et européen. Dossier de droit européen, n°14. Bruylant (Bruxelles) et LGDJ (Paris), 2006. 410 pages, 38 euros.