Publié à la veille du deuxième Forum social européen de Paris, le livre de Guillaume Duval prend le contre-pied des thèses sur le libéralisme triomphant, la marche inéluctable vers la société de marché et la diabolisation des entreprises multinationales qui étendent leur emprise sur l’ensemble des rapports sociaux en contraignant l’Etat à céder du terrain.

La thèse se veut rigoureuse, un brin provocatrice mais argumentée : le libéralisme n’a pas d’avenir car cette « idéologie du marché concurrentiel » ne correspond pas à la réalité observée du capitalisme actuel. On assiste au contraire à une montée du non marchand dans les économies développées, mesurée par la progression des prélèvements obligatoires dans les économies des pays de l’OCDE. Cette montée s’explique car l’heure est aux oligopoles, aux concentrations accélérées qui réduisent le rôle du marché concurrentiel. De plus, ces grandes firmes ont besoin pour assurer leur survie de maîtriser un environnement de plus en plus complexe. Elles doivent pour cela s’appuyer sur un tissu de plus en plus dense de rapports non marchands. En effet, seul le secteur non marchand est en mesure de leur apporter la protection, la sécurité juridique pour investir, des politiques leur assurant la main-d’œuvre qualifiée, les systèmes de retraite, de santé, d’adduction d’eau dont elles ont besoin. Bref, la concurrence coûte cher et devient un luxe réservé aux activités de faible valeur ajouté et de faible intensité de capital.

La conclusion s’impose : l’enjeu n’est pas le retour au projet libéral pour rétablir une « vraie » concurrence. Ce projet réactionnaire au sens propre est comme tel condamné à l’échec. La question est plutôt comment maîtriser le big business. Car, bien sûr, le monde post-marché est peu rassurant, en particulier par les inégalités croissantes qu’il génère.

Pour Guillaume Duval, la réponse est à rechercher du côté de la multiplication des formes de contrôle démocratiques sur les multinationales. Quelques pistes de contrôle social des firmes multinationales sont ainsi avancées, comme le gouvernement d’entreprise qui vise à remettre en cause le pouvoir absolu du droit de propriété des actionnaires. Il soutient ainsi la nouvelle dynamique enclenchée avec la responsabilité sociale des entreprises, c’est-à-dire un droit de regard des salariés, des associations de consommateurs, des collectivités et autres « parties prenantes » pour réclamer des comptes sur d’autres terrains que sur les seuls résultats financiers.

On peut facilement partager l’essentiel du raisonnement. Il a comme intêret majeur pour les syndicalistes de remettre au centre l’intervention des salariés et l’action des citoyens. Ces derniers peuvent s’appuyer et compléter la dynamique d’encadrement public par les règles et les normes d’ordre public à l’image des normes de l’OIT, des principes directeurs de l’OCDE ou de la loi française sur les NRE. On aurait aimé toutefois une analyse plus fouillée des difficultés rencontrées par cette démarche de régulation démocratique en vue de responsabiliser les firmes et leurs filiales dans les pays du Sud où se concentrent les principales inégalités et où l’intervention de la société civile reste encore largement à construire. En ce sens le contrôle social reste bien à conquérir si l’on veut transformer le système.