De nombreux séminaires sont consacrés à l’impact de la crise économique et sociale que nous traversons, sous l’angle de l’emploi le plus souvent, et peu sous l’angle du travail réel. Nous avons donc décidé à l’Observatoire des Cadres de questionner l’impact de la crise sur le travail des cadres et sur leur engagement dans le travail.

Qu’est-ce que l’Observatoire des Cadres ?

En 1996, la CFDT Cadres – qui s’appelait encore Union Confédérale des Ingénieurs et Cadres – a créé une structure associative, l’« Observatoire des Cadres » (OdC), afin de mettre en relation des enseignants, experts, chercheurs, personnes qualifiées, responsables RH, cadres et syndicalistes, pour réfléchir sur les questions et problématiques liées au travail des cadres. Cette réflexion concerne tous les cadres salariés du secteur privé comme des différentes administrations quelles que soient leurs filières et fonctions : professionnels (études et méthodes, développeurs, administratifs, experts), chercheurs, commerciaux et managers (de proximité, de haut niveau, chefs de projet), ainsi que des cadres dirigeants.

L’OdC est une passerelle entre les cadres et le monde académique, un lieu de veille et d’échange entre les différents acteurs. Il tire sa force de sa proximité avec les cadres et les équipes sur le terrain. Il a pour vocation de donner des outils pour partager, comprendre, réfléchir afin de pouvoir agir, tant il est vrai que si un cadre a des responsabilités il a aussi et encore quelques marges de manœuvre, et qu’il lui revient d’y réfléchir, personnellement mais aussi collectivement.

L’OdC s’appuie en son sein sur un Conseil Scientifique composé de sociologues, d’économistes, de professionnels du monde du travail et de praticiens des ressources humaines.

Au-delà de travaux de veille et d’études, il organise de nombreux séminaires et colloques sur des thèmes d’actualité ou prospectifs, pour susciter la réflexion et le débat, et apporter des éléments de compréhension et d’éclairage. Une caractéristique essentielle de ces séminaires et colloques est de faire réfléchir ensemble des cadres de terrain autant que des experts et observateurs du travail. Ce croisement est notre marque de fabrique et contribue largement à la fécondité de ces travaux.

Pourquoi s’interroger sur le travail et l’engagement des cadres à l’épreuve de la crise ?

Le thème du travail et de l’engagement des cadres n’est évidemment pas nouveau pour l’Observatoire des Cadres, ni pour la CFDT Cadres qui avait mené en 2007 et 2008 une recherche-action sur « l’investissement des cadres au travail » (voir la revue Cadres n° 432 de novembre 2008). Cette étude approfondie avait déjà mis en évidence les difficultés liées au rythme de travail, au poids du reporting et des indicateurs, au manque de soutien RH, au rouleau compresseur des réorganisations permanentes dans de nombreuses entreprises et administrations et à l’écart grandissant entre les cadres et les directions.

Elle avait ainsi déjà permis de lancer une alerte forte sur une dérive avérée. Pourtant les cadres se disaient toujours globalement investis… malgré quelques phénomènes de retrait relatés par plusieurs observateurs et révélateurs de prises de distance entre des cadres et leurs entreprises.

Depuis, une nouvelle crise mondiale, issue du système financier, a pris une très grande ampleur, a quitté la finance pour atteindre toute l’économie et le social en frappant tout particulièrement l’emploi, et nous a amenés en 2009 à nous réinterroger sur son impact sur le travail des cadres, sur leur engagement et sur la manière dont ils y font face. En quoi cette crise conforte ou déplace les constats précédents ?

Nous avons voulu mettre en évidence les forces à l’œuvre et les problématiques auxquelles sont soumises les entreprises, voire les administrations d’une part et leurs salariés d’autre part, quels que soient leur domaine d’activité et leur contexte concurrentiel, technologique, financier, leur positionnement dans la chaîne entre donneurs d’ordre et sous-traitants… Toutes les difficultés ne sont pas nées avec la crise, et la crise ne frappe pas toutes les entreprises. Et pourtant les mêmes questions et les mêmes constats se font jour un peu partout, plus fortement qu’avant, notamment pour les cadres. La crise révèle ou amplifie les difficultés déjà présentes. Mais il s’agit maintenant de remonter plus précisément l’arbre des causes. C’est l’un des enjeux du colloque.

De nombreux cadres se disent fortement déstabilisés dans des organisations elles-mêmes déstabilisées. Sommes-nous à un sommet de la déstabilisation des cadres et du management ? Sommes-nous à la fin d’un cycle ? Ou au contraire serions-nous dans une sorte de salle d’attente, guettant et espérant l’émergence d’une situation nouvelle, certaines entreprises et certains dirigeants prenant peu à peu conscience que certaines limites sont atteintes ? Nous sommes dans le brouillard et nous constatons surtout à ce jour les effets destructeurs de cette situation.

Pour autant il est impossible d’en rester là et force est de constater que nous avons la responsabilité d’éviter que rien ne change. Facile à dire, mais comment faire ? Avec ce colloque, notre objectif était et demeure d’apporter des éclairages nous permettant individuellement et collectivement d’approfondir notre intelligence des situations, en vue de nous situer en acteurs, au sein de notre quotidien de cadres. L’Observatoire des Cadres a tenté de dégager des constats, des analyses et des pistes d’action…

La démarche choisie: partir de l’expression du vécu des cadres

Le comité de pilotage du colloque a rapidement fait le constat que parler de l’impact de la crise sur le travail des cadres sans les cadres (mais en leur nom…) ne conduirait qu’à une analyse assez académique de la situation, certainement intéressante mais pas forcément parlante pour les cadres concernés… Nous avons donc fait le choix de partir du vécu des cadres dans leur activité quotidienne pour essayer de comprendre les phénomènes et les évolutions en cours au sein du travail, et identifier les questions les plus pertinentes.

Nous avons alors élaboré un questionnaire qualitatif pour réaliser une enquête ouverte et non une enquête statistique qui aurait demandé beaucoup plus de temps et de moyens. L’objectif était de proposer une grille de questions à poser à des cadres, syndiqués et non syndiqués. La démarche a été proposée à plusieurs équipes syndicales de grandes entreprises dans un premier temps, pour bénéficier de leur connaissance du terrain de leur entreprise, en prenant soin de ne pas restituer la position de leur équipe syndicale mais bien l’expression des cadres rencontrés. Une quinzaine d’équipes a répondu rapidement à notre sollicitation. Chaque équipe a été mise en relation avec un référent au sein du comité de pilotage, chargé d’expliquer la démarche, de présenter le questionnaire et de servir d’interface.

Une première restitution a eu lieu avec les représentants de la douzaine d’équipes qui avaient mené l’enquête et effectué un premier travail d’analyse et de synthèse des réponses. Cette étape a été très riche car elle a permis un échange entre les équipes des différentes entreprises et avec le comité de pilotage. Chaque équipe a ensuite affiné son rapport d’enquête en lien avec les référents, puis le groupe de travail a décidé d’utiliser ce matériau sous forme de témoignages lors du colloque. Cinq cas étudiés ont été retenus à cette fin.

Cette démarche a entrainé une forte mobilisation des équipes sur le terrain, faisant écho à notre intuition de la pertinence du sujet du colloque. Plusieurs équipes ont en effet exprimé combien ce travail d’enquête arrivait au bon moment pour donner la parole à des cadres qui avaient besoin d’exprimer leurs difficultés, voire leur incompréhension à l’égard des méthodes déployées dans leur entreprise.

Le déroulement du colloque

Finalement le colloque a été organisé autour de trois axes principaux, dont deux liés à l’observation et à l’analyse à partir du terrain.

La première session « Le travail des cadres au cœur des transformations » s’est déroulée autour des témoignages des équipes de Hewlett-Packard (Marc Amiaud) et de France Télécom (Yves Montagnon) et de l’analyse de Francis Ginsbourger. On a cherché à mettre en évidence ce qui change au quotidien pour les cadres dans leur activité de travail, leur comportement, leurs marges de manœuvre.

La deuxième session « Replis ou engagements, quelles paroles et réactions, individuelles ou collectives » s’est organisée autour des témoignages des équipes de Renault (Franck Daout), Alcatel-Lucent (Lubiku Miankeba) et Accenture (Jérôme Chemin) et de la synthèse de Sophie Pochic. Comment les cadres réagissent-ils aux difficultés et aux changements ? Quelles actions ont été engagées pour faire face ?

La troisième session, organisée en table ronde, avec des observateurs (Marc Fleurbaey, Anne pezet), des experts (Patrick Conjard, Xavier Baron) et des professionnels (Bernard Masingue, Dominique Azam) s’est interrogée sur les perspectives d’évolutions envisageables dans le fonctionnement de l’entreprise, le management, la gouvernance et la gestion des ressources humaines. La journée s’est terminée avec l’intervention de Jean-Paul Bouchet, secrétaire général de la CFDT Cadres, dont les grandes lignes figurent dans un article de la revue. De nombreux intervenants de cette revue ont participé au colloque du 2 décembre.

Premier bilan de ce colloque…

En premier lieu, notons que la forte participation (près de 200 personnes) et la richesse des échanges ont d’abord confirmé l’importance et l’acuité du sujet. D’une manière générale, les participants ont souligné la grande richesse du croisement entre les témoignages de terrain et les apports théoriques des experts et des chercheurs. De nombreux cadres présents se sont retrouvés dans le vécu des témoignages et du coup se sont sentis moins isolés dans leurs difficultés.

D’après les 75 fiches d’évaluation reçues, les points qui ont été identifiés et analysés reflètent bien les problèmes rencontrés sur le terrain, et les leviers d’action identiques semblent pertinents. Des sujets tels que la fonction des managers, celle des RH et la relation entre managers de proximité et gestion des RH, sont reconnus comme complexes et importants, et devront faire l’objet d’approfondissements. Des actions sont d’ores et déjà lancées par l’OdC pour contribuer aux propositions à faire. Certains sujets ont en revanche été peu traités comme les impacts de l’organisation matricielle et le poids des directions métiers qui influent sur le management sans discussion possible. Le travail sera donc poursuivi en 2010.

La route sera longue pour retrouver une vision apaisée et dynamisante du travail, mais nous ne pouvons que la poursuivre, tant il est inacceptable que le travail ne contribue pas mieux au développement des personnes et de notre société, et à l’équilibre individuel comme collectif. C’est une question de responsabilité envers nos contemporains, envers nous-mêmes et envers les générations qui nous suivent. La mondialisation amplifie ces enjeux. Les cadres en sont tout particulièrement conscients et ne demandent qu’à être acteurs de ces progrès. La vocation de l’OdC est de les y aider.

Que tous ceux qui ont contribué à la préparation et au déroulement de cette rencontre en soient donc remerciés et encouragés à poursuivre, tout particulièrement la douzaine d’équipes syndicales qui ont travaillé en proximité avec l’OdC et son conseil scientifique.