Comment se fait-il que nous n’arrivions pas à remédier à la maladie essentielle de notre société ? s’interroge B. Brunhes. « C’est que nul n’a bien compris - ou n’a pas voulu comprendre, parce que trop de privilèges et de droits acquis sont en cause - que l’économie de cette fin de siècle n’a rien à voir avec celle des Trente Glorieuses... ». Il s’ensuit que tous les termes du contrat social sont devenus obsolètes.

L’auteur se livre alors à une analyse fine des nouvelles caractéristiques du secteur industriel. Les grandes entreprises externalisent leurs services, décentralisent leurs unités de production et accroissent sans cesse leur productivité. Cela se traduit par des compressions de personnel à l’intérieur des grandes entreprises et la création d’emplois à l’extérieur, dans les PME qui dépendent étroitement de la puissance financière et économique de ces grandes entreprises.

Et si l’emploi dans le tertiaire a progressé en France d’un peu plus d’un demi million de personnes entre 1980 et 1992, ce secteur va se trouver soumis, avec un retard d’une dizaine d’années, aux mêmes contraintes que l’industrie. C’est notamment le cas du tertiaire de masse (banques, assurance) dont l’organisation s’apparente à celle de l’industrie.

Le service public va, lui aussi, être confronté aux mêmes problèmes. « Tôt ou tard, elles (les entreprises publiques) découvriront les bienfaits de la flexibilité, de la sous-traitance, de la décentralisation, de l’assouplissement de la gestion des personnels ». Le résultat sera négatif en termes d’emplois. Mais nous dit B. Brunhes de nouveaux services pourront être créés avec les postes libérés (propreté, sécurité...). Est-ce bien sûr ? Et ceci compensera-t-il cela ? Pourquoi pas ? Privatisons ces services publics, ils peuvent en général, sauf dans certains cas, être assurés par le privé dit l'auteur qui reconnaît pourtant que la privatisation des chemins de fer britanniques est une catastrophe.

Toutes ces nouvelles contraintes sont incontournables : « Il s’agit désormais d’adapter en permanence les structures et les organisations à l’évolution du marché, de la clientèle et des produits, et au passage, de faire des économies de personnel : la casse humaine est inévitable ».

B. Brunhes a bien conscience de tous les dangers que comportent ces bouleversements : « Si comme on peut le penser aujourd’hui, l’éclatement des entreprises, à la fois dans leur organisation interne et par l’externalisation devient la règle, les conséquences sur les parcours professionnels des travailleurs, sur leur relation à l’entreprise et, partant, à leur travail sont telles que c’est à un grand bouleversement que nous allons. On peut le réaliser en douceur pour ne pas casser les hommes et donc permettre la survie des entreprises ; la précipitation, en brisant les communautés de travail, fait courir des risques à l’entreprise ».

Pour répondre à ces nouvelles caractéristiques du monde du travail, il appelle à une nouvelle donne syndicale : « Ou les organisations syndicales parviennent à unir leurs forces.... ou elle dépériront doucement... ». La flexibilité lui semble inéluctable, mais c’est une flexibilité interne qu’il prône. Face à cette flexibilité il est nécessaire que les salariés soient représentés et défendus. Cela paraît évident. Quelle doit être alors l’attitude des syndicats français ? : « A coup sûr, leur mode d’intervention diffèrera de ce qu’il a été. Ils devront faire face à des systèmes de décision décentralisés. Ils devront être présents à la fois au niveau de la branche ou de la grande entreprise pour conclure des accords et conventions cadres et à celui de la petite unité pour gérer le quotidien d’un système d’emploi différencié et individualisé ».

Certes on a dans ce livre une analyse fine et lucide des nouveaux modes de production mais on ne voit pas encore où sont les solutions radicales pour sortir nos sociétés du cancer du chômage, à part quelques idées sur l’aménagement du temps de travail (le temps choisi partiel) et d’autres sans doute plus originales et plus prometteuses sur la constitution de sociétés de solidarité locale regroupant tous les acteurs économiques et politiques d’un bassin d’emploi.