L’organisation est assez simple sur le papier : « flex » pour flexible (le bureau) mais surtout « flex » pour flexibilité du salarié. Celui-ci n’a plus de bureau mais doit chaque matin se trouver une place parmi les nombreux espaces proposés : bureau (ouvert ou fermé), phone booth (cabine téléphonique) pour assister à une conférence téléphonique, salle de téléprésence pour une visioconférence ou simple salle de réunion pour rencontrer ses collègues. N’ayant plus de place attitrée, il doit, en tant que nomade, se déplacer avec ses affaires. Il aura toujours la possibilité d’en stocker un nombre réduit dans un caisson laissé à sa disposition dans l’entreprise. Dans un article paru en 2012[1], je partageais mon expérience chez Accenture, pionnière dans le développement du flex office dès les années 1990. Le mode d’organisation en « sans bureau fixe » n’y a cessé d’évoluer. A l’origine prévu pour les consultants censés être chez le client, il s’est développé avec quelques aménagements à l’ensemble des salariés, y compris les fonctions « supports » (comptabilité, RH, juridique…). C’est bien ce type d’organisation que recherchent aujourd’hui les entreprises et organisations (la fonction publique n’est pas épargnée) qui s’intéressent au flex office. Proposer à tous les salariés la possibilité de choisir son espace de travail. Choisir n’est pas le terme qui convient car derrière se cache souvent un souci de rentabilité de l’espace : rares sont les organisations qui proposent du « 1 pour 1 » (1 place pour 1 salarié). On est plutôt dans du « 1 pour 2 » voire pour 3 ou 4 selon l’activité et le service concerné (plus de places pour les fonctions support, moins pour les fonctions nomades - commerciaux, consultants…). Il n’est dès lors pas rare de voir certains matins des salariés arriver plus tôt pour être sûrs d’avoir une place assise, les perdants se contentant de travailler sur un bout de table, à la cafétéria ou même sur les paliers ou dans les escaliers ! Car, si l’entreprise fournit des taux d’occupation de ses espaces pour justifier cette réorganisation, il s’agit souvent de taux moyen sur la semaine : ainsi une entreprise peut afficher un taux moyen de 70% qui ne rendra pas compte de la réalité des pics d’occupation les lundis et vendredis à 110% quand le taux peut descendre à 50% le mercredi. Faut-il pour autant jeter le flex office avec l’eau du bain ? Non car c’est bien souvent l’arbre qui cache la forêt : quand il est mal appliqué (et c’est souvent le cas), il n’est que le reflet d’une mauvaise organisation du travail. Aussi, quand un tel projet est proposé par la direction, s’il est difficile de la faire changer d’avis, il est important de poser quelques principes élémentaires, mais bien souvent oubliés par cette dernière, pour que la nouvelle organisation ne tourne pas au cauchemar.

 

Le premier principe est de mener une analyse fine des besoins des salariés :  par service, par activité et non globalement, ce qui n’aurait aucun sens. Se demander tout simplement pourquoi un salarié vient au bureau. Un consultant de passage n’aura pas les mêmes besoins qu’un responsable RH astreint à venir tous les jours (sauf éventuel(s) jour(s) de télétravail). Une fois le « pourquoi » clarifié, il est indispensable de réfléchir à la question du « pourquoi faire ». Les activités d’une journée sont variées et le salarié a des besoins différents en termes d’espace et de moyens. Le consultant aura besoin d’une salle de réunion pendant 2 heures, de répondre à des mails pendant une heure (une simple place de bureau suffit) et se rendre au service informatique pour changer de PC. Un responsable RH réglera les affaires courantes depuis son bureau mais pourra aussi suivre une conférence téléphonique dans une cabine équipée et mener un entretien avec un salarié dans un bureau fermé. Cette réflexion poussera donc les directions à passer d’une réflexion globale à une réflexion « à l’heure près » de ces espaces. Nous voyons dès lors que la perfection n’est pas de ce monde et qu’il y aura sûrement des couacs : mais c’est l’importance de ce travail en amont qui permettra de les réduire au maximum.

 

Le second principe est de bien préciser l’objectif recherché. Si celui visant à réduire les mètres carrés - et donc les coûts - est souvent le premier, il ne doit nullement être le seul. Et même pas du tout le premier ! Car, mal menée, cette organisation du travail peut devenir très vite nuisible à son bon fonctionnement. Il faudra donc bien souvent renoncer à certains objectifs de gains :  non seulement les RH devront peut-être garder un ratio de « 1 pour 1 » mais en plus il leur faudra plus de bureaux fermés pour les entretiens confidentiels si le service est désormais organisé en open space (bureaux ouverts). Malgré les taux d’occupation fournis, il faudra peut-être offrir plus de bureaux aux consultants que nécessaire car il n’est pas envisageable que ceux-ci, qui passent déjà rarement au bureau, ne trouvent pas de place quand ils décident d’y venir !

 

Le bureau est bien plus qu’une place assise où je viens travailler chaque jour. Il fait partie intégrante de mon identité professionnelle et je dois être capable de m’y projeter quand je parle de mon travail. Quand cette projection n’est plus possible et que je dois connaître l’angoisse de ne pas avoir de place quand j’arrive, c’est mon image de « moi au travail » qui se dégrade, ce qui aura très certainement un impact sur la qualité de mon travail et mon engagement. A cette perte d’identité professionnelle s’ajoute le stress. Il n’est pas rare de croiser certains salariés qui, après une heure dans un RER bondé, sont stressés et se rendent compte en plus que l’organisation n’est pas en mesure de les accueillir convenablement. Au stress de pouvoir prendre son train à l’heure le matin s’additionne celui de pouvoir trouver un bureau à temps.

 

Le troisième principe est de réaliser l’étude en amont avec tous les acteurs en présence dans l’organisation. Managers, RH, instances représentatives du personnel, juristes, services généraux… Cette multiplication des acteurs peut faire peur : elle est pourtant indispensable au bon déroulement du projet. Concernant les représentants du personnel, il n’est pas rare de les voir impliqués au dernier moment selon le vieux cercle vicieux « si on les informe trop tôt ils vont râler et bloquer le projet ». Et que croyez-vous qu’il se passe ? Consultés à la fin, quand tout a été décidé, les représentants… râlent car ils n’ont plus leur mot à dire. Quel dommage pour l’organisation qui se prive là d’une parole importante !

 

Le quatrième principe est de lancer une expérimentation, sur un service, un établissement avant de l’étendre à toute l’organisation. Or, bien souvent, ces projets sont menés lors d’un déménagement et il est difficile dans ce cas de ne pas appliquer les changements à toute l’organisation au même moment. C’est pourtant quand il n’y a justement pas d’échéance prévue que l’expérimentation de cette nouvelle organisation est la plus efficace. Prendre le temps d’analyser, de proposer, de déployer et d’ajuster est un vrai gage de réussite. L’urgence est une très mauvaise collaboratrice !

 

Le cinquième principe est d’envisager la réversibilité partielle (plus rarement totale) du projet quand celui-ci est mis en place. Tout le monde peut se tromper et une organisation qui semblait fonctionner sur le papier s’avère parfois être un désastre une fois déployée. Et comme on ne peut pas pousser les murs il faut bien souvent prévoir des réaménagements, ce qui augmentera la facture finale. Adieu les espoirs de gains !

 

En conclusion, garder avant tout à l’esprit que le salarié, quand il se rend au bureau, vient remplir les obligations du contrat de travail qu’il a signé avec son employeur. A charge pour ce dernier de bien l’accueillir. Cet accueil est bien le gage d’obtenir le meilleur du salarié qui remplira ainsi dans de bonnes conditions les objectifs qui lui sont assignés en restant engagé et motivé.

 

 

[1] « Conditions de travail et technologies numériques », revue Cadres n°449.