Retrouvez sur la chaîne Dailymotion.com/CFDT_TV une intervention de Pierre Rosanvallon devant le Comité national CFDT enregistrée le mois dernier. Pour P. Rosanvallon, nous traversons un moment social particulier, une forme d’expression de « la France souterraine » décrite il y a plusieurs années ainsi : « une impression d’abandon qui exaspère de nombreux Français qui se trouvent oubliés, incompris, pas écoutés ; le pays, un mot, ne se sent pas représenté ». Le projet d’un « Parlement des invisibles » montrait en effet l’ambition de « contribuer à sortir de cet état inquiétant, qui mine la démocratie et décourage les individus » (Seuil, 2014). Invisible, parce que la condition sociale ne résume plus la place dans la société et que les outils de représentation ne suffisent pas à exprimer toutes les variables des situations de l’individu aujourd’hui. Pour P. Rosanvallon, les « gilets jaunes » ne sont pas un mouvement mais « le surgissement de réactions individuelles côte-à-côte », « une foule inorganisée » de mille situations désespérées et invisibles.
Cela reste « une France de la démocratie négative qui se définit par les rejets et non par des projets ». La figure politique, les responsables politiques sont rejetés car ils sont visibles et symbolisent pour les plus médiatisés d’entre eux la France « d’en-haut ». Au passage, il faut admettre qu’il n’y a jamais eu autant de violence sur le monde politique, car « la négativité est le principe d’existence de cette nouvelle forme d’expression qui se dissoudrait si elle négociait un compromis ». C’est « la France des marges et des radicalités » mêlant, autre nouveauté, l’extrême-droite et l’extrême-gauche. Il n’y a pas de mouvement des gilets jaunes parce qu’un mouvement est positif et organisé. Un mouvement social peut lui s’éteindre car il veut s’inscrire dans une histoire.
Car cette crise se place elle dans un « moment populiste » de nos sociétés qui voient « le déclin de la performance démocratique de l’élection ». Celle-ci ne représente pas la complexité sociale actuelle, la « société des individus » et la pluralité de leurs situations. Elle ne répond pas à l’envie d’une démocratie permanente. Nous avons un problème de temporalité, de raccourcissement de cycle électoral, vitalité démocratique. Le populisme apparaît comme une réponse et pas seulement comme un symptôme de la crise sociale. Les populistes ont une vision de la société désormais polarisée entre le peuple et une élite, une société prise comme un bloc. Cette simplification imaginaire justifie le lien direct entre le peuple et le dirigeant, justifie de refuser tout ce qui ne relève pas du fait majoritaire et serait teinté de délibératif. Ce lien est affectif, il tient sur la spontanéité. Les populistes réussissent à exister dans un monde sur-médiatisé par la place donnée au ressenti – « c’est la grande force du populisme d’avoir intégré l’émotion dans l’espace public ».
Enfin, les populistes apportent une réponse simpliste mais compréhensive à la globalisation par un national-protectionnisme : « c’est l’idée que la souveraineté va guider la prospérité économique ». Il nous faut alors « œuvrer à la refondation démocratique », imaginer l’articulation entre la démocratie élective, celle des rites, avec celle d’une opinion qui désormais existe par les réseaux sociaux et la permanence médiatique. Le mouvement syndical a sa part à prendre dans sa capacité à écouter l’individu et à représenter les situations dans leurs singularités.