L’article premier de la Charte sociale européenne et de la Charte sociale européenne révisée (traités internationaux du Conseil de l’Europe, liant juridiquement les États signataires) traite du droit au travail. Il stipule qu’« en vue d’assurer l’exercice effectif du droit au travail, les parties contractantes s’engagent à reconnaître comme l’un de leurs principaux objectifs et responsabilités la réalisation et le maintien du niveau le plus élevé et le plus stable possible de l’emploi en vue de la réalisation du plein emploi ». Les autres paragraphes de cet article concernent la liberté d’accès au travail ; les services gratuits de l’emploi et les mesures d’orientation, de formation et de réadaptation.

La notion de « plein emploi » est très difficile à cerner et de nombreuses approches de définitions circulent. S’agit-il d’une situation où le taux de chômage ne dépasse pas plus de 4 %, ou d’une situation où le nombre d’emplois offerts correspond au nombre d’emplois recherchés ? De même il n’est pas aisé de répondre à la question de savoir comment les parties contractantes peuvent démontrer qu’elles mènent une politique économique cohérente visant de manière spécifique à réaliser l’objectif final de cette disposition. Dans un ouvrage consacré il y a quelques années à la jurisprudence de la Charte sociale européenne, Lenia Samuel rappelait que cette disposition a été interprétée comme comportant une obligation de moyens plutôt qu’une obligation de résultats, et que pour déterminer si un Etat satisfait effectivement à cette obligation, « il y a lieu de se placer dans une perspective dynamique et d’apprécier la situation existante à un moment donné, en tenant compte de l’effort poursuivi ». La diminution du chômage n’est alors pas un indice suffisant d’un effort vers la réalisation du plein emploi quand le chômage frappe par exemple 5% de la population active. En revanche, une augmentation importante du taux de chômage, alors qu’un effort substantiel est fait afin d’améliorer la situation du marché de l’emploi, n’empêche pas le Comité d’experts indépendants chargé d’évaluer le respect des engagements des États contractants de considérer une telle situation comme conforme à la Charte.

Bien que cet article de la Charte – qui fait partie du noyau dur des dispositions de cet instrument – ne soit pas souvent cité dans le cadre des discussions relatives à la politique d’emploi, il est fondamental pour les politiques économiques menées par les États ayant ratifié cet instrument et pourrait inspirer ceuxqui ne sont pas liés par cette Charte. Un livre récent de Siller, Dückert et Baumann contribue à nourrir les réflexions permettant la prise de décisions en matière de politique économique visant à atteindre l’objectif du plein emploi.

Après un prologue dédié à la nécessité de repenser la politique du marché du travail et la discussion des objectifs d’une politique de travail juste, cet ouvrage collectif comporte des exposés présentés par des spécialistes, dans le cadre d’une journée d’étude organisée le 4 mars 2005 à Berlin par le groupe des Verts au Bundestag allemand, ainsi que des contributions de discussions à propos des divers thèmes abordés.

Après avoir traité des questions relatives à un nouveau modèle pour le développement du secteur tertiaire, des contributions analysent les conditions d’une nouvelle politique fiscale pour investir dans l’avenir, tout en diminuant certains coûts liés aux salaires ; le livre contient également des contributions traitant du temps du travail et des nouvelles approches en la matière.

Le dernier chapitre traitant de la politique du marché du travail en Europe est intitulé « trois menus – et aucune recette ? » et contient une analyse comparative des politiques poursuivies au Danemark, au Royaume Uni et dans les Pays Bas, suivie de réflexions prospectives relatives à une nouvelle politique du marché du travail en Allemagne. En effet, depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, les responsables allemands en politique économique ont de plus en plus recours à l’expérience faite, avec un certain succès, dans d’autres pays et qui permettent d’aller de la phase d’une politique « active » d’emploi vers celle d’une politique « aktivierend (stimulante) » ; il s’agit de pays qui selon des indicateurs spécifiques (ceux relatifs au chômage et à l’augmentation du taux d’emploi) ont connu des succès au cours des dernières années.

L’objectif du livre, à savoir repenser et concevoir une nouvelle phase de la politique du travail qui réponde à des problèmes sociétaux urgents, est atteint dans le sens que les idées, propositions et suggestions constructives sont traitées et présentées sans qu’elles doivent être absolument considérées comme généralement acceptées ; en tout état de cause, elles contribuent à enrichir considérablement la réflexion en la matière. Rédigé en allemand, ce livre gagnerait à être traduit et pourrait être lu avec beaucoup de profit par les spécialistes des politiques d’emploi et notamment les responsable syndicaux qui devraient jouer un rôle fondamental dans la constrruction et la mise en œuvre d’une politique de de l’emploi active et surtout « stimulante ».

Lenia Samuel, Droit sociaux fondamentaux, Jurisprudence de la Charte sociale européenne, La Documentation française, 2003.

Peter Siller, Thea Dückert und Arne Baumann (dir.), Arbeit der Zukunft. Neue Wege einer gerechten und emanzipativen Arbeitspoliti, Nomos Verlagsgesellschaft, Baden-Baden, 2006.