Si l’autonomie est tant valorisée, nous rappelons régulièrement qu’elle implique des appuis et de la coopération, pour ne pas être confondue avec la solitude risquée pour tout travailleur. De même faut-il soutenir la montée en responsabilité dans les organisations. Non pas pour favoriser des premiers de cordée, mais pour accompagner celles et ceux qui entendent prendre en charge des équipes, des projets, des structures. Et favoriser précisément la coopération et les collectifs de travail. La responsabilité est exigence morale et personnelle mais elle doit être portée collectivement. C’est tout le sens de notre « syndicalisme cadre » : aider les salariés qui montent en responsabilité et ce dans l’intérêt de tous les salariés. Les aider à prendre des décisions, à dépasser des dilemmes, à prendre des initiatives, à prendre la parole pour parfois alerter et s’opposer. En creux se dessine une éthique professionnelle du cadre pour laquelle se mobilise la CFDT Cadres : exigences d’une responsabilité sociétale de l’entreprise, protection des lanceurs d’alerte, démarche « dilem pro » proposée aux adhérents, etc. En droit souple, l’accord national interprofessionnel portant diverses orientations pour les cadres du 28 février 2020, certes incomplet, imparfait, constitue désormais une référence, et cette première référence à l’éthique crée le droit d’en parler dans l’entreprise, de sortir du tabou :

« Les employeurs et les salariés membres du personnel d’encadrement sont particulièrement attentifs aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur sur les thématiques suivantes : l’exercice de la liberté d’expression […] ; l’exercice du droit d’alerte économique reconnu au CSE […] ; l’exercice du droit d’alerte […] en cas d’existence d’une cause de danger grave et imminent […] ; l’exercice du droit de retrait […] ». Par ailleurs, « les employeurs sont encouragés à adopter des chartes éthiques relatives » et l’accord rappelle que « les dispositions de la loi […] concernant la protection des lanceurs d’alerte dans l’entreprise revêtent une importance particulière. »

Si la morale est l’énoncé de principes universels, l’éthique elle est une démarche en situation, donc davantage de l’ordre de la raison et de la réflexion. Appuyons-nous sur l’approche du philosophe Paul Ricœur car elle est la plus utilisée pour définir de façon stable ce qu’est l’éthique : sa « visée » est « une vie bonne, avec et pour autrui, dans des institutions justes ». C’est il nous semble un appel à l’estime de soi (ne pas se mentir), avec sollicitude (ne pas mentir à l’autre) et dans une attitude ouverte à plus grand que soi (ne pas mentir au monde).

Au travail, la déontologie permet d’indiquer une démarche éthique. Il s’agit de l’ensemble des règles qui régissent une profession. Voilà une morale professionnelle, avec des droits et des devoirs clairs. Mais ceux-ci varient d’un métier à l’autre, peu sont organisés en profession, et peu de professions ont des règles déontologiques, journalistes, chercheurs, juristes, agents publics, pour ne citer qu’eux, ont un cap et des limites. Mais que dire pour un rôle, pour une responsabilité, comme celle de manager, ou bien de militant ? L’élaboration d’une éthique du mandat et de l’action politique est inachevée. Au-delà du niveau individuel, le problème se corse avec l’organisationnel. En quoi une entreprise, un service public ou une association peuvent-ils être éthiques tant les questionnements sont subjectifs ? Une réponse vient du respect des normes collectivement acceptées. Ainsi de la responsabilité sociétale ou encore de la « raison d’être ». Mais ces normes sont-elles considérées comme morales ? La RSE est-elle guidée par une éthique de responsabilité et de conviction ? La conformité a un sens, mais il est limité. C’est peut-être au niveau managérial que se joue l’articulation entre la morale et la conformité, entre sujet et acteur. Identifier le but de l’activité, qualifier l’engagement de chacun, la motivation, la reconnaissance, à la croisée de l’image de l’entreprise et des tensions personnelles.

L’important, c’est la méthode : pour sortir d’un dilemme, pour s’accorder sur la qualité du travail à rendre, pour s’interroger sur la finalité de l’entreprise. La sincérité de la performance collective affichée dépend de la qualité de la gouvernance. En évitant de verser dans le moralisme ou de s’en tenir à la consigne, l’éthique est la démarche visant à donner un sens au travail et notamment à protéger la responsabilité des abus !